Crushed . Scarlett & Jared

Ses chaussures à la main, Scarlett passa finalement la lisière de la forêt, courant à moitié, ses bas effilés par une traversée brutale du parc de Poudlard. Il était près de dix-huit heures et elle venait de finir ses cours de la journée. Ne sachant pas trop pourquoi, elle avait quitté le château immédiatement, attrapé ses talons et en courant, elle avait parcouru le parc pour aller se réfugier pour la première fois dans la forêt interdite.

Ce n'était pas le genre d'endroit qu'elle fréquentait d'ordinaire. Scarlett aimait le calme, le beau, le luxueux, la grandeur et d'une manière générale, la coquetterie. Seulement, trop d'images, de souvenirs et de problèmes s'entrechoquaient là bas, elle voulait fuir. Jamais auparavant elle ne s'était sentit si oppressée... Sauf peut-être en France, chez Elle, là où Benjamin était mort.

Il faisait presque nuit sous la coupe des arbres et elle accéléra le pas, s'enfonçant résolument dans les méandres sinistres qui s'offraient à elle. Elle s'y perdrait surement, mais elle s'en fichait un peu. Bientôt, elle se retrouva à nouveau à courir, suivant un sentier de terre, ses respirations se faisant de plus en plus saccadées au fur et à mesure que l'air froid du mois de Mars tranchait ses poumons et faisait monter des larmes dans sa gorge.

Elle trébucha et tomba en avant, dans un bruit étouffé, s'ouvrant les paumes. Les larmes se mirent à couler réellement. Elle ne se reconnaissait plus, comment en était-elle arriver à un tel point de dégout et de honte. Un sanglot plus fort que les autres s'éleva dans la forêt, la secouant alors qu'elle frappait rageusement le sol, laissant du sang sur le tapis de feuille.

Soudain, une branche craqua derrière Scarlett et elle fit volte-face, s'attendant à tomber nez à nez avec une créature. A la place, il y avait un homme.

L'homme ne bougea pas immédiatement. Pendant plusieurs longues secondes, il resta en arrière, à l'observer, immobile et silencieux, si bien qu'elle douta même qu'il respire, se demandant pendant un instant si il n'était pas une statue. Puis finalement, il se mit en marche, vivement, à grandes enjambées, il avança vers elle. Elle le dévisageait toujours et ne le reconnaissait pas. Elle ne l'avait jamais croisé auparavant, elle en était certaine, elle se serait souvenue de lui, de ses yeux. L'harmonie de son visage était scellée par ses yeux bleus, profondément bleus et perçant, le genre de regard qui pouvait tout voir, même les secrets les mieux cachés, le genre de regard que l'on remarquait même à travers des iris embuées de larmes, dans la pénombre d'une forêt puante, à plusieurs mètres de distance.

Il fut cependant rapidement devant elle, et il posa un genou à terre avant de demander :

- Vous êtes blessée?

Il y avait une réelle inquiétude dans sa voix, et Scarlett en conclut qu'elle devait avoir l'air particulièrement pitoyable, pour qu'il s'en fasse de la sorte. Elle se contenta de hocher la tête, baissant les yeux vers ses mains abîmées. D'ordinaire, elle ressemblait à une poupée, elle était belle et toujours parfaites. C'était son talent, se qu'elle savait faire de mieux : être une femme, une poupée de porcelaine. Mais la porcelaine se craquait, cassait petit à petit, et à présent, ses mains pâles et lisses étaient sales et recouverte de son propre sang. Elle ne savait même pas ce qu'elle faisait là, elle avait tellement honte qu'elle n'osait même pas le regarder.

Dans un élan de fierté, elle ravala ses larmes et tenta de se relever, de se remettre debout sans aide, comme elle le faisait si souvent. C'était sans compter sur sa cheville. Apparemment, durant sa chute, elle avait malmené son pied droit et aussitôt, à peine eut-elle portée un peu de poids sur sa jambe, une douleur lancinante irradia son mollet, transperçant sa cuisse et la faisant à nouveau tomber, un peu plus loin.

Elle ne parvint pas à retenir ses larmes, et ses sanglots redoublèrent alors qu'elle se retrouvait tremblante de douleur, allongée sur le sol sale et humide de cette forêt puante où elle n'appartenait pas. Elle en avait tellement assez, elle ne savait plus qui elle était ni ce qu'elle faisait, c'était pathétique, désolant, un triste spectacle, mais même en le sachant, elle n'arrivait pas y remédier.

Un mois auparavant, elle aurait séduit cet inconnu, jouant les demoiselles en détresse pour qu'il la ramène galamment au château, puis elle l'aurait attiré dans son lit, parce qu'il était beau. Elle n'était pas aveugle, même à travers ses larmes, elle voyait bien que c'était un bel homme, quelqu'un qu'en tant normal, elle aurait voulu séduire, mais seulement, elle était fatiguée. Mentalement fatiguée, à un point de non retour, à un point qu'elle ne comprenait pas. Elle voulait dormir mais n'y arrivait pas, elle n'avait plus faim, plus gout à rien. Hormis pleurer, rien ne la soulageait, pas même la compagnie de ces adolescents qu'elle avait l'habitude de faire venir dans ses appartements.

Un sursaut de douleur la secoua alors qu'elle tentait de se redresser à nouveau et elle abandonna rapidement tout espoir. Elle resterait là, il ne l'aiderait surement pas, elle avait reculé devant lui. Elle se sentait si mal, elle n'était pas à sa place, dans ses vêtement que la chute avait transformé en oripeaux tachés et déchirés, ses cheveux en bataille et son maquillage inondant son visage sous la pluie de larmes.

Pourtant il ne partit pas. Il lui laissa quelques secondes avant de s'approcher à nouveau et entreprit de l'aider. Elle ne comprenait pas d'ailleurs. D'ordinaire, les hommes l'aidaient pour s'attirer ses faveurs, parce qu'elle jouait avec eux, parce qu'elle était belle au point qu'ils se battent entre eux pour avoir son attention. Là, elle était en sang, sale, elle pleurait comme une enfant, elle avait perdu tout ses attraits de femme, et il l'aidait tout de même.

Il la souleva précautionneusement, passant un bras dans son dos et l'autre sous ses genoux, avant se redresser et de marcher doucement en direction du parc. Elle s'apprêtait à dire qu'elle ne voulait pas retourner au château dans cet état, qu'elle ne voulait pas retourner tout court, quand il s'arrêta, la déposant contre la racine d'un arbre et la laissant s'installer. Ce qu'elle fit, alors qu'il parlait, de cette même voix douce et posée, encore un rien inquiète.

- Navré d'avoir pris la liberté de vous porter, mais une position plus confortable est plus propice pour prodiguer des soins.

Elle ne pleurait plus à présent. Des larmes coulaient encore sur ses joues mais elle s'habituait à la douleur et surtout, reprenait le contrôle, petit à petit.

- Je m'appelle Jared Winslowe,je suis le nouveau professeur de Soins aux Créatures Magiques. Vous devez être une de mes collègues, je suppose ?

A nouveau, elle hocha la tête, essuyant ses joues comme une gosse en utilisant le revers de ses manches. Chaque mouvement de ses mains lui faisaient terriblement mal, envoyant des pointes fulgurantes dans ses doigts, et peignant rictus sur rictus sur son visage de poupée cassée. Elle se trouvait stupide, pathétique, pitoyable, elle n'aimait pas donner cette image, elle ne le faisait jamais. Elle ne pleurait pas, elle ne se laissait pas abattre, ou alors c'était si rare qu'elle pouvait compter ses moments sur les doigts d'une seule main. Elle avait honte, qu'aurait pensé Benjamin ? Que penseraient les autres, ceux qu'elle avait fait pleurer à se montrer froide et distante. Elle était laide à cet instant présent, elle le savait. Laide, sale, puante, une vulgaire gueuse, une paysanne quand d'habitude on l'appelait Mademoiselle.

Elle s'étrangla un peu lorsqu'elle tenta de parler, mais parvint tout de même a articuler :

- Scarlett de Lioncourt... j'enseigne la Coopération Internationale.

Elle n'ajouta rien, se sentant stupide à se présenter de la sorte à un collègue. Premier jour à l'école, et il voyait déjà le pire côté de Poudlard, le travail que cet endroit avait fait sur ses nerfs...

Il se contenta d'incliner la tête et de lui offrir un sourire indiquant qu'il comprenait son mutisme. Elle n'en rajouta donc pas, attendant simplement qu'il agisse. Elle ne savait pas si il allait l'aider encore un peu ou simplement la laisser en plan en voyant qu'elle n'allait pas si mal que ça. Il scruta sa cheville pendant un instant, et avec horreur, elle l'imita et se rendit compte que déjà, la blessure enflait considérablement. Elle ne s'était pas ratée, c'était évident. Ce qu'elle pouvait être stupide parfois. Terriblement stupide. Elle savait qu'en dehors des murs confortables d'un endroit luxueux, elle n'était pas à sa place. Elle était une femme d'intérieur, elle vivait dedans, certainement pas dans la forêt.

- Eh bien, Scarlett, vous avez fait une mauvaise chute...

Sans en dire plus, il ouvrit le sac qu'il portait avec lui et attrapa plusieurs fioles et récipient, avant de finalement ajouter :

- J'ai sur moi de quoi guérir les plaies sur vos mains. J'ai bien peur, en revanche, de ne pas pouvoir faire grand chose pour votre cheville. Puis-je ?

La question la tira de ses pensées et elle le regarda dans les yeux, hochant simplement la tête. Quand ses mains iraient mieux, elle pourrait se soigner elle même. Mais pour le moment, elle ne pouvait pas tenir sa baguette, cela posait donc problème. Et puis, les vrais maux étaient ailleurs, c'était mentale, psychologique, elle se lapidait mentalement, la chute n'était qu'un dixième de ce qu'elle ressentait. Elle se sentait sale, inutile, stupide, elle avait l'impression d'avoir gâché sa vie, d'avoir tout perdu en perdant Benjamin. Elle aurait été heureuse avec lui, elle l'aurait épousé, elle aurait porté ses enfants, elle aurait fait quelque chose de sa vie, elle aurait été aimé par un homme adorable et attentionné qui la regardait comme une princesse. A la place, elle était seule, dans des draps froids chaque nuit, séduisant des adolescents pour tromper son ennuis. Elle ne se reconnaissait plus, elle avait honte de son reflet dans le miroir, elle n'avançait plus et se sentait si perdue que cela la terrorisée.

Le regard un peu hagard, elle souleva vers ses mains vers lui, pour lui donner la permission d'appliquer ses soins. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle voulait lui faire confiance, elle avait besoin de s'accrocher à quelqu'un à cet instant, avant de partir dans un délire paranoïaque et de se faire encore plus de mal...

Semblant satisfait de l'autorisation, il prit une petite quantité de l'onguent que contenait la petite boite et s'affaira à la soigner, massant doucement une des mains de Scarlett. Elle ne réagit pas, trop sonnée par ses autres blessures, mais elle sentait sa peau tirer sous les assauts, et l'impression qu'il lui passait les doigts au travers de flammes avant de les plonger dans un sceau de glaçons ne la dérangea pas plus que ça. Sa cheville la lançait trop pour qu'elle réagisse, de toute façon, la douleur, la vraie, était concentrée ailleurs.

Il répéta l'opération sur l'autre main de Scarlett et à nouveau, la sensation de brulure et de morsure au froid se fit sentir, mais de la même façon, elle ne cilla pas.

- Avez-vous encore mal aux mains?

La voix la tira de ses pensées et elle bougea doucement ses doigts avant de hocher silencieusement de la tête. Non, elle n'avait plus mal, c'était surprenant d'ailleurs, aux vues des blessures qu'elle portait. Baissant les yeux, elle remarqua que les dites blessures avaient totalement disparues, laissant à nouveau place à sa peau diaphane et lisse, parfaite, et à ses ongles propres et entretenus.

- Si vous avez d'autres plaies, sur le corps par exemple, vous pouvez les soigner avec ceci.

Elle remarqua alors qu'il lui tendait le récipient, et réalisa qu'elle devait avoir d'autres plaies, qu'il n'osait pas toucher. Elle en sentait une, à vraie dire, sur sa clavicule, elle sentait le sang couler, mais elle ne s'en souciait pas, trop intriguée par cet inconnu et ses manières. Qui était-il ? Que faisait-il ici ? Et pourquoi l'aidait-il si respectueusement quand elle passait de mains en mains sans que cela ne gêne personne, sans que personne ne lui montre la moindre trace de pudeur.

C'était une première. Depuis son adolescence, elle n'avait pas connu une telle retenue, même de la part des jeunes hommes néo-romantiques qu'elle avait connu... Elle se sentait faible à présent, et salit. Pourquoi diable cherchait-elle l'attention ? Pourquoi fallait-il qu'elle soit une trainée de luxe, une poule. Parce qu'elle n'était rien de plus, et cette idée la dégoutait, faisant monter de nouvelles larmes dans ses yeux.

Elle avait envie de hurler, de se frapper pour se faire encore plus mal. Elle était honteuse, elle n'était qu'une prostituée, rien de plus. Le simple fait qu'elle tombe sur quelqu'un de distant le lui rapellait, cette différence qu'il affichait la frappait si violemment qu'elle se sentait nauséeuse, perdue, totalement désemparée face à sa vie décousue et débauchée.

Alors que des sanglots neufs et puissants la secouait, elle se mit à hocher la tête et sans qu'il puisse anticiper, elle se projetta en avant, ignorant la douleur dans sa jambe et passa ses bras autours du cou de l'homme avant de se coller contre lui, sanglotant contre son torse comme une petite fille tombée de sa balançoire.

Elle avait mal. Elle était perdue, totalement égarée dans des souvenirs et des regrets, et elle voulait quelque chose de concret pour ne pas sombrer pleinement. Elle souffrait physiquement et mentalement, et jamais depuis la mort de Benjamin elle n'avait ressentit ça.

- Je suis désolée...

Sa voix était étouffée, noyée dans les larmes, à peine compréhensible...

Elle sentit à peine le bras qu'il passa autours de sa taille, mais la chaleur qu'il dégageait prenait doucement le pas sur ses frissons presque terrorisés.

- Vous n'avez pas à vous excuser.

Il resserra l'étreinte, elle en fut consciente cette fois, mais elle se sentait inconsolable. Elle était à bout, physiquement, mentalement, elle ne savait plus ce qu'elle faisait tant elle avait peur de l'absence d'avenir qui s'étendait à ses pieds. Elle n'allait nul part, elle ne ferait rien de sa vie, rien d'autre que d'être une libertine, une de ses femmes qu'on aime pour une nuit et dont on se débarrasse parce qu'elles sont honteuses, parce que rien ne les différencie réellement des prostituées. A nouveau, le voix de Jared s'éleva :

- Quel que soit votre problème, je suis persuadé qu'il peut y avoir une solution. Rien ne peut mériter les larmes d'une dame.

Immédiatement, elle figea violemment ses doigts dans le tissu de la chemise qu'il portait. Elle s'étouffait dans ses larmes, et sans le savoir, il venait d'appuyer là où ça faisait réellement mal.

- Je n'ai rien d'une dame... rien du tout... ce n'est que du chiqué, je ne vaux rien, rien du tout...

Sa gorge se sera et sa voix s'étrangla, gémissement glacial dans le calme de la Forêt Interdite.

- Je suis certain du contraire. Une femme vaut toujours quelque chose, et je regrette profondément de vous voir dans cet état.

Elle le sentit un peu bouger alors qu'elle commençait à s'alanguir contre lui, tellement lasse de l'image qu'elle avait d'elle, si fatiguée de toujours devoir prétendre à une perfection qu'elle n'atteindrait jamais réellement. Elle craquait, elle n'avait rien fait de sa vie hormis collectionner plus d'amants que Madame de Merteuil. Avant de venir à Poudlard, elle aurait trouvé un mérite dans cet exploit, mais à présent, cela la dégoutait. Elle avait perdu sa valeur, à passer entre trop de mains, elle n'était qu'une peau que trop d'hommes avaient touchés... Un crayon de papier tomber sur le sol, voila ce qu'elle était : parfait état en apparence, mais à l'intérieure, la mine était éclatée. La mine, c'était son âme, son honneur et son estime personnelle.

- Vous devriez réparer votre cheville, Scarlett. Après cela, s’il y a quelqu’un que je dois prévenir de votre situation, je le ferai sans hésiter.

Elle bougea un peu, sentant qu'en effet, l'articulation était fâcheusement douloureuse. Elle avait du se casser quelque chose, et compte-tenu de la localisation, elle penchait pour la malléole. C'était bien son jour, décidément. Non seulement, elle ratait sa vie sur toute la ligne, mais en plus, ses fuites d'héroïne tragique se terminaient d'une façon si pathétique qu'elle se sentait couverte de honte. Bien entendu, ce n'était rien en comparaison de ce qu'elle ressentait réellement, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se concentrer sur ce détail là.

A contre cœur, elle se redressa, réalisant qu'elle avait été si ce n'est pas bien mais en tout cas mieux dans les bras du nouveau professeur. Il ne la connaissait pas, il la traitait respectueusement, prenant des pincettes comme un gentleman l'aurait fait avec n'importe quelle Lady. Elle n'en était pas une, elle était des courtisanes, des femmes vénales et viles, qui séduisaient pour augmenter leurs rangs et rentes, mais il n'en savait rien...

Elle se détacha doucement de l'étreinte rassurante qu'il avait maintenu autours de son corps et tirant sa baguette, elle tenta de se concentrer, chassant ses larmes et prenant une respiration profonde pour jeter un sort correct. Elle n'avait pas les capacités pour se soigner, pas sur le champ en tout cas, elle était beaucoup trop secouée pour y parvenir sans aggraver les choses alors elle se contenta de conjurer une atèle autours de sa cheville meurtrie, empêchant ainsi qu'un mouvement brusque ne la face hurler.

Elle rangea ensuite sa baguette et ses yeux filèrent vers le sol couvert de feuille. Elle avait honte, elle se sentait mal, réellement. D'une voix creuse, d'outre-tombe, elle déclara doucement :

- Je ne veux pas retourner dans le château, je ne veux pas que l'on me voit ainsi...

Apparence. Encore et toujours. Elle était superficielle, aussi profonde et spirituelle qu'un pédiluve. Merlin qu'elle se faisait pitié.

- C’est compréhensible, et je ne compte pas vous ramener au château.

Elle afficha un sourire timide mais su que de toute façon, s’il avait tenté de la faire retourner dans les murs de l’école, elle se serait débattu violemment, allant même jusqu’à s’enfoncer encore un peu plus dans la forêt austère et hostile. Retourner au château à cette heure là signifiait le traverser durant une heure de pointe, le moment où tous les élèves vagabondaient dans les couloirs, déambulant pour rejoindre salle commune, bibliothèque ou simplement retrouver un groupe d’amis sur la cour ou dans les corridors. Scarlett se refusait à endurer cette humiliation, cette haie de déshonneur que les adolescents dresseraient intrinsèquement en la laissant passer, vêtue d’oripeau et clairement abattue.

- Je reste ici si vous avez besoin d’une oreille, ou d’une simple présence. Je ne peux vous laisser ici seule, dans cet état.

Elle hocha la tête et réalisa qu’elle aurait aimé lui signifié qu’il n’avait pas à rester, qu’elle n’était pas une première année et que maintenant qu’elle s’était un peu reprise et qu’elle était en mesure de tenir sa baguette, elle serait sans doute à même de se défendre en cas de problème, mais elle ne trouvait pas la force de le chasser.

Il était en quelque sorte rassurant, avec son calme apparent, son air de savoir ce qu’il faisait, cette impression qu’il dégageait d’être inébranlable, de ne pas s’emporter… Tellement de gens auraient pointé leur baguette vers la coupelle des branches pour lancer des étincelles, comme des fusées de détresse, et prévenir le château pour avoir de l’aide. Pas lui. Elle lui en était reconnaissante d’ailleurs. Helena Moor et Severus Rogue ne semblaient pas tellement… enclin à la pitié. Et de toute façon, elle se refusait à ça, elle ne voulait pas qu’on s’apitoie sur son sort… Ses problèmes, elle se les forgeait toute seule, il était hors de question qu’elle s’en plaigne réellement, c’eut été un comble.

Des larmes montèrent une fois de plus dans sa gorge quand elle comprit qu’elle avait beau tenter de garder la tête haute, prétendre être fière et indépendante, ce n’était que des illusions qu’elle maintenait, comme son rang, sa classe sociale… Ce n’était que du faux, des paillettes. Elle était faible, fragile, vulnérable, elle détestait ça, mais elle avait viscéralement besoin d’aide… Elle se serait giflée, mais à la place, elle laissa ses pleures inonder à nouveau ses joues pâles. Il n’y avait plus rien… Envolée la jeune femme forte et sure d’elle, disparue la séductrice émérite et sans gêne aucune, perdue la dame élégante et gracieuse… Elle se sentait sale, laide, repoussante… C’était d’ailleurs surement le cas, puisqu’il ne la touchait pas, puisqu’il la regardait à peine, puisqu’il n’entrait pas dans le jeu que menaient d’ordinaire les hommes en sa présence.

Dans un mouvement brusque, presque brutale, elle se projeta en avant, passant à nouveau ses bras autours du cou de son collègue et sans qu’il ne puisse anticiper, elle posa ses lèvres sur les siennes, forçant presque immédiatement un baiser. Il allait la repousser et elle aurait ainsi confirmation de ce qu’elle pensait… Il allait la faire reculer, mettre un terme à ce baiser fortuit et elle saurait qu’elle avait eu raison de se voir soudain comme une personne sans intérêt aucun, pas même physique…

Il ne répondait pas. Il ne la repoussait pas, mais ne répondait absolument pas à son baiser, tant et si bien qu'elle avait l'impression d'écraser ses lèvres sur un bloc de marbre plutôt que sur la bouche d'un homme. Pourquoi diable, si c'était pour ne pas répondre, ne la repoussait-il pas simplement ? Avait-il peur de ses foudres ? Pensait-il la blesser encore plus qu'elle ne l'était déjà ? Les idées s'entrechoquaient dans le crâne de la jeune femme, créant un brouhaha perturbant, un chaos de percussion qui lui donnait le tournis et l'effrayait. Elle avait l'impression d'être saoule, comme durant ces nuits d'ivresse où l'alcool devient mauvais et rend acerbe et emprunt le buveur d'une lucidité faussée mais tellement grinçante que chaque aspect de la vie, de l'existence, devient risible de par son côté pathétique et immuable.

Sonnée, malaisée, fatiguée et en proie à des forces dont elle avait voulu oublier la présence en elle, Scarlett se recula. Elle n'aimait pas être ménagée, jugeant qu'elle avait vu suffisamment dans sa vie pour qu'on ne la traite pas comme une débutante, une gamine sans expérience. Elle ne supportait pas que l'on entre pas dans son jeu, non plus, et c'était la que résidait le paradoxe. Elle était adulte, elle avait la tête froide, les pieds ancrés au sol, mais pourtant, il restait en elle un peu d'adolescence. Les rêves, l'exubérance, l'absence de limite, l'excentricité, la tendance aux caprices, à la manipulation affective et à l'exagération étaient toujours là, faisant d'elle quelqu'un de redoutable. De la jeune femme, elle avait tous les attraits : beauté, esprit, élégance et fraicheur apparente, mais elle avait su éradiquer un à un les fléaux : naïveté, facilité des sentiments... Elle était redoutable parce qu'elle était pire qu'une mante religieuse. Mais cela changeait. Elle se sentait vieillir, elle n'avait rien accompli de sa vie, hormis devenir une catin de luxe, une courtisane sans honneur et sans intérêt aux yeux des hommes de qualité. Elle avait perdu sa jeunesse alors elle s'abreuvait à celle des adolescents qu'elle attirait dans sa chambre, dans ses draps. C'était honteux, sinistre, mais jusqu'à présent, elle ne l'avait pas remarqué... Pas consciemment du moins.

- Scarlett, je suis certain que vous êtes une femme de classe, malgré ce que vous semblez penser de vous même. Cependant, vous traversez quelque chose qui vous dépasse. Je ne sais de toute évidence pas qui vous êtes réellement, mais en aucun cas je ne puis me permettre de ne pas tenter de vous aider. Consentiriez-vous à me laisser comprendre le pourquoi de vos larmes ?

Elle fit non de la tête, dans un premier temps. En parler à un inconnu ? Quelle idée... et pourquoi ne pas carrément le hurler dans le hall de Poudlard. Non pas que quiconque dans l'enceinte de l'école ignore ce qu'il se passait... Tout le monde savait, elle voyait bien les regards haineux qui lui lançaient les adolescentes dont elle avait volé les petits amis, et elle avait également conscience des yeux qui se posaient sur elle avec insistance, sans pudeur, sans respect ni retenu, elle savait très bien qu'elle n'était rien de plus qu'un fantasme qu'ils pouvaient assouvir, tous autant qu'il était... Tout le monde savait, hormis ce nouveau professeur...

- Je suis une trainée.

Les quatre mots étaient sortis sans qu'elle n'y pense réellement, cinglant le silence pesant de la forêt. Et maintenant qu'elle était lancée, elle ne voulait pas s'arrêter, malgré le regard incrédule qu'il jetait sur elle.

- Je suis une catin, je passe d'adolescent en adolescent, je ne suis bonne qu'à ça. Une trainée, une courtisane, une fille de joie, appelez ça comme bon vous semble... pire encore, car je fais ça sans raison et sans motivation... par ennui...

Elle marqua une longue pause. Elle ne pleurait plus. Elle n'avait plus de larmes à verser, elle avait trop mal pour ça. Il avait toujours sa main posée sur sa joue, caresse immatérielle. Elle reprit, sa voix toujours aussi vide, creuse, monocorde :

- J'ai perdu le seul homme que j'ai jamais aimé... veuve sans même être mariée...

Elle se gifla mentalement. Benjamin n'était pas la seule raison. Enfin, dans un sens il l'était, mais il n'était pas le facteur déclencheur de cette crise, de ce manque soudain de repère... Là, tout de suite, il fallait qu'elle soit honnête avec elle même, qu'elle arrête de se mentir, de se cacher la vérité. Dans un murmure résigné, comme une vérité connue de tous mais réfutée pendant longtemps, elle daigna finalement prononcé intelligiblement, à le reconnaitre réellement :

- Je me suis attachée à un de mes amants, et ça me terrorise... Il a seize ans, il ne devrait pas être volage, mais pourtant... elle déglutit difficilement puis reprit. Ce n'est pas de l'amour, mais ça me détruit de le voir ainsi partir, me laisser, m'abandonner... Je... j'ai l'impression de revivre la perte que j'ai connu il y a des années...

Maintenant qu'elle l'avait dit, elle se sentait épuisée, faible, vulnérable. Jamais, Jamais au grand jamais Regulus ne devrait savoir ça. Sinon, ils se perdraient tous les deux, et elle ne supportait pas l'idée. Elle avait le tournis, elle se sentait désemparée, perdue, comme une gosse après un naufrage, ballotée par des vagues immenses et sur le point de trouver sa fin, brutalement écrasée contre des récifs...

- Vous avez sûrement souffert énormément, et voir ce jeune homme s’éloigner n’arrangera pas les choses. Si ce n’est pas de l’amour que vous ressentez, vous aimez tout de même être spéciale aux yeux de quelqu’un. Etre réellement aimée. Pouvoir garder cette personne près de vous.

Elle hocha la tête mais il ne sembla pas le remarquer. Ce qu'elle pouvait être puérile et pathétique. Une vraie gosse, capricieuse, en manque d'affection. Une gamine qui veut toujours être sur le devant de la scène, sous le feu des projecteurs, au premier rang. Sauf qu'à présent, elle se brulait. Elle faisait fondre ses ailes de cires, elle était faible, pitoyable, et sans l'attention de Regulus, elle se sentait laide, elle avait l'impression soudaine d'être vieille et sans intérêt, une beauté fanée, passée...

- Ce jeune homme, comment vous considère t-il ?

Elle releva la tête, incrédule. Elle n'en avait tout simplement aucune idée. De la même façon qu'il ne savait pas une once de ce qui la tourmentait, elle ignorait tout de ce que Regulus pouvait ressentir. C'était le jeu, c'était comme ça, ne rien dire, ne rien avouer, ne rien reconnaitre. Elle aurait aimé pourtant le lui faire comprendre, lui prouver qu'il avait beau n'être qu'un amant, elle appréciait sa compagnie, même en dehors de leurs ébats. Il était intelligent, agréable, un gentleman, bien que très jeune, et il était discret... De la même façon, elle aurait aimé savoir comment il était tombé dans les travers du libertinage, elle voulait le protéger, prendre soin de lui comme d'un enfant, et elle détestait cet instinct maternel de pacotille.

- Je... j'imagine qu'il m'apprécie, puisqu'il revient me voir, mais je ne suis même pas certaine de ça...

C'était douloureux à admettre. Plus qu'elle ne l'aurait cru.

- Vous devez trouver ce que vous cherchez réellement à travers tout ça. Et mettre les choses au point, pour ne plus vous retrouver dans cet état.

Elle manqua de lâcher un sursaut de rire sardonique. Ce qu'elle cherchait ? Ce n'était pas dur. Elle cherchait une cure de jouvence, elle ne voulait pas vieillir, elle voulait se sentir belle, aimée, désirable, quitte à passer pour un objet. Plutôt mourir que d'être oubliée, plutôt crever que d'être abandonnée. Elle ne supportait pas l'idée de faner, de devoir se ranger, de laisser sa place. Elle aimait la séduction parce qu'elle se sentait vivre quand elle voyait du désir dans les yeux de ses jeunes amants. Ce qu'elle cherchait à travers tous ses corps adolescents, toutes ses nuits vide de sens, c'était à exister, à être quelqu'un.

- Il vous faut combattre le mal par le mal.

Elle le regarda, un peu incrédule. Cela tombait mal à propos. Dans sa réflexion, cela venait comme une incitation à continuer, à redoubler d'audace et d'ingéniosité pour trouver des amants, pour se perdre dans des bras inconnus et se réveiller dans des draps froids. Elle secoua doucement la tête, tentant de chasser cette idée de son crane, mais elle réalisa qu'il avait peut-être raison.

Du moins, ce n'était sans doute pas ce qu'il avait voulu dire, mais qu'importe. Si elle arrivait à blesser Regulus, à lui faire mal comme à tous les autres, puis à tourner la page et à l'oublier, tout irait bien, elle continuerait son petit jeu comme avant, sans soucis, sans conséquences, sans aucuns problème. C'était aussi simple que ça.

Elle devrait congédier Regulus, même s'il demandait à la revoir, et elle devrait séduire certains de ses camarades. Il faudrait qu'elle s'arrange pour que son aventure avec Tucker Donovan tombe dans les oreilles d'une commère, et que cela fasse le tour de l'école... Aussi simple que ça.

Elle afficha un sourire tordu, machiavélique, et répéta, d'une voix d'outre tombe :

- Combattre le mal par le mal... le mâle par les mâles...

Elle manqua de rire à nouveau, consciente qu'elle délirait un peu, et que ses yeux trempés de larmes s'étaient parés d'une lueur démentielle, profondément étrange, effrayante et dérangeante. La manipulatrice était de retour, il fallait qu'elle se sauve. Regulus ne l'aurait pas, c'était hors de question.