GALWAY : Pride & Prejudice [ Sirius / Elana ]

Sirius digérait en silence le coup du zoo que lui avait sortit Elana lorsque son meilleur ami lui prit le bras. Immédiatement, il se sentit comme aspiré dans un tube, sensation très désagréable qui lui compressait les poumons et lui donnait la nausée. Mais bientôt, il se retrouva debout, les pieds sur un sol ferme et rassurant. Levant la tête, il constata qu'ils étaient tous arrivés en Irlande. Haelya les entraina vers un passage douanier, non sans leur avoir intimé le silence, et négocia le passage dans cette langue chantante et un peu frustre qu'était l'irlandais. Visiblement, elle n'avait rien perdu de ces facultés à le parler car la figure d'autorité qui gardait le passage leur ouvrit le portail en répondant quelque chose que personne ne comprit, sauf Haelya bien sur.

Très vite, Sirius poussa un soupir à la fois agacé et résigné. Ils nageaient dans une foule plus dense que tout ce qu'il avait jamais connu. Même le chemin de traverse, la veille de la rentrée, n'était pas aussi bondé et ce n'était pas peu dire. Les couloirs de l'école à la sortie des cours semblaient terriblement déserts, à côté de cette masse humaine qui avançait comme un courant inéluctable, d'un seul mouvement, comme une vague implacable mais sans retour. Il détestait ce genre de foule. Déjà parce qu'il s'y fondait trop à son goût mais aussi parce qu'il perdait totalement le contrôle de ses mouvements, englués dans les autres comme une mouche dans une toile d'araignée. Il glissa un coup d'oeil vers Elana et remarqua qu'elle était tout aussi dégoûtée que lui, louvoyant comme elle pouvait au milieu des corps humains poisseux et repoussants qui les cernaient. Il n'eut même pas le coeur à se moquer d'elle, tant la situation dans laquelle ils se trouvaient lui déplaisaient fortement.

Mais rapidement, Haelya s'arrêta devant un pub aux allures typiquement irlandaises, si on en jugeait d'après la devanture. Sirius avait beaucoup lu et il ne pu s'empêcher de se dire que partout, il y avait des gens pour apprécier les clichés, les stéréotypes. Quant à lui, tout ce qui lui importait, c'était d'avoir un peu de place, d'air. En voyant Elana se précipiter à l'intérieur du bar, il en conclu qu'elle avait la même envie. Poussé par la foule, il s'empressa de se glisser derrière sa cousine et son meilleur ami, qui avaient eux-même suivit Elana. Malheureusement, lorsqu'ils furent tous à l'intérieur, Sirius grimaça et poussa même un juron qui passa, heureusement, inaperçu dans le brouhaha qui régnait. La pièce était bondée et des effluves d'aclool, de tabac et de sueur se mélangeait à l'odeur persistance de la cire du bois.

- ... un homme mort.

Il posa son regard sur Elana, qui se tenait juste devant lui et qui semblait avoir remarqué qu'il venait d'entendre ce qu'elle avait dit. Il ne releva pas et se tourna simplement sur la droite pour murmurer à l'oreille de Remus :

- On se sépare. J'entraine Elana là haut, tu sauras où nous trouver si besoin est. De toute manière, si jamais on décide de bouger, retrouvons nous ici à minuit.

Il vit son ami hocher la tête en signe d'assentiment. Sans plus attendre, Sirius avança et attrapa au passage le coude de sa brune amie, qu'il guida rapidement dans le dédale humain jusqu'à un escalier en bois sombre qu'il avait repéré en arrivant. Il la poussa délicatement sur les marches et elle ne se fit guère prier pour gravier l'escalier en colimaçon. En arrivant à l'étage, Sirius soupira de soulagement. Il n'y avait que deux couples et un vieil homme solitaire, attablés chacun à des tables espacées les unes des autres. Avisant une table duo libre au fond de l'espace, contre le mur et le plus loin possible de la rambarde donnant sur la pièce bondée, il y entraina Elana. Lorsque cette dernière fut assise, il sortit de ses poches les nombreuses sucreries qu'il avait innocemment emprunté chez Honeydukes et déclara posément :

- Régale toi, je vais nous chercher des bières. Il ne serve que ça, de toute manière. De la brune, en plus.

Il esquissa une légère grimace de dégoût avant de faire demi tour et de disparaitre dans l'escalier en colimaçon. En bas, il lutta un peu pour arriver jusqu'au bar mais une fois qu'il y fut, il observa les boissons. Il fut enchanté de reconnaitre une bouteille de whisky pur feu et, avisant le barman, il lui désigna la boisson en levant deux doigts. Il avait compris qu'il valait mieux éviter l'anglais, s'ils voulaient rester ici quelques temps. De toute manière, avec le bruit qui résonnait dans la pièce, l'homme derrière le bar n'aurait rien compris. Il attrapa les deux gros verres que lui avait donné le barman et, alors que ce dernier s'éloignait déjà pour servir d'autres clients, Sirius se pencha en avant et récupéra la bouteille de Whisky. Il s'éloigna ensuite sans demander son reste, l'ayant glisser dans la poche ventrale de son sweat.

Il réussi l'exploit incroyable de regagner les escaliers sans renverser un seul verre. Soulagé et content de lui, il remonta et alla déposer un verre devant Elana, qui semblait l'attendre.

S'asseyant face à elle, il leva son verre et lui lança calmement, dans un français parfait :

- A la tienne, Chérie !

Il esquissa un sourire amusé et sorti la bouteille de sa poche, la posant sur la table contre le mur. Puis, il bu deux gorgées de son breuvage ambré, savourant la brûlure de l'alcool coulant dans sa gorge. Il était réellement satisfait de son coup, soulagé de ne plus se retrouver dans la foule.

Sans relever sa remarque, Black échangea quelques mots avec Remus avant de l'attraper par le coude et de l'entraîner au milieu de la foule. Sous le choc, elle se laissa faire, se contentant d'esquiver du mieux possible l'ensemble des corps qui se pressaient autour d'eux. La foule fendue, Black la força à passer devant lui et elle se retrouva nez-à-nez avec l'escalier qu'elle avait à peine pu entrevoir depuis l'entrée. Remerciant intérieurement la nature d'avoir doté son camarade d'une grande taille, elle gravit rapidement les marches et déboula dans une salle en mezzanine, vétuste et poussièreuse mais ayant le mérite d'être quasiment vide. Elle perçut d'ailleurs le soupir de soulagement du Gryffondor et ne put s'empêcher de l'approuver. Ils seraient bien mieux au calme plutôt que dans le cauchemar qu'évoquait la salle du bas. Et encore mieux à cette table reculée, postée dans l'ombre de la pièce, vers laquelle l'entraînait Black. L'idée était suffisamment intelligente pour qu'elle ne se rebiffe pas, se contentant de le suivre docilement et de s'installer lorsqu'il la relâcha. Elle eu la surprise de voir une multitude de sucreries sortir des poches de son caramade, égayant la table boisée d'une nuée de couleurs vives.

- Régale toi, je vais nous chercher des bières. Il ne serve que ça, de toute manière. De la brune, en plus

Il eu une grimace de dégoût avant de tourner les talons pour rejoindre l'escalier et disparaître dans la foule.
Elana reporta son attention sur le tas de douceurs qui s'étalaient sous ses yeux, étonnée que Black ait pu voler quoi que ce soit. Pourtant, elle ne voyait d'autre explication, Honeyduke hébergeant le passage secret que les Maraudeurs utilisaient le plus.
Etrangement hésitante, elle tripota des bonbons au hasard, faisant crépiter les sachets, avant d'en attraper un. Une sucette d'un rouge profond qui aurait très bien pu être au sang s'il n'y avait eu sa forme. Un coeur. Maudits soient les fabricants de sucreries ! Elle rejetta violemment sa trouvaille, quelques secondes avant que Black ne revienne. Aussitôt, elle se composa une expression neutre, faisant mine de l'attendre.

Il tenait deux verres de whisky, étonnament pleins. Aux vues de la foule, Black venait de réaliser des prouesses en ne renversant pas leurs boissons.

- A la tienne, Chérie !

Le français ne l'étonna pas. Elle connaissait déjà ses capacités et comprenait la démarche, les anglais n'étant guère admis en Irlande. Ce qui la surprit fut plutôt le surnom. Nulle moquerie déguisée, nulle préméditation ne transparaissaient dans sa voix. Il l'avait appelé ainsi de manière tout à fait spontanée. Dangeureuse.
Elle choisit de l'ignorer.

- Je crois qu'ils font plutôt quelque chose comme entrechoquer leurs verres. Mais les moeurs de ce pays me sont étrangères, je ne prendrais pas le risque de devoir égorger ce vieillard pour nous sauver la peau.

Sans répondre à la politesse de son camarade, elle attrapa son verre et avala une longue gorgée du breuvage. Le whisky brûlait agréablement, lui faisant oublier l'horreur de l'arrivée. Elle reposa son verre et, machinalement, ses doigts se mirent à jouer avec la sucette qu'elle n'avait pas rejetté assez loin. Elle ne pouvait s'empêcher de s'interroger sur sa présence ... Black était-il conscient de ce qu'il faisait en la sélectionnant ?

- Finalement, les Maraudeurs portent bien leur nom. Surtout toi.

La démarche n'était pas aussi subtile qu'elle l'avait cru en commençant sa phrase mais avait le mérite de ne laisser planer le doute sur ses intentions réelles.

Une lueur d'étonnement traversa les beaux yeux violets de la jeune femme et Sirius trouva que c'était là une réaction normale suite au surnom affectueux qu'il venait de lui donner, spontanément. En y repensant, il était vrai qu'il n'y avait absolument pas réfléchi, c'était sorti tout seul. Il était d'un naturel affligeant, parfois. Vraiment. C'en devenait ... dangereux.

- Je crois qu'ils font plutôt quelque chose comme entrechoquer leurs verres. Mais les moeurs de ce pays me sont étrangères, je ne prendrais pas le risque de devoir égorger ce vieillard pour nous sauver la peau.

Elle attrapa son verre et prit une gorgée du liquide ambré qu'il contenait, savourant autant que lui, sinon plus, la chaleur que le breuvage diffusait dans le corps. Elle sembla d'un seul coup un peu plus détendue, mais Sirius se méfiait. Ce n'était peut-être qu'une illusion due à l'éclairage diffus de la pièce. Des éclats de rire et des voix tonitruantes montaient du rez de chaussé, pâle reflet de l'enfer que devait être la salle. Le grand Black se félicita d'avoir remarqué l'escalier et il se demanda, l'espace d'un instant, où avait bien pu se réfugier Remus et Haelya. Mais un bruit de papier froissé le tira de ses pensées et il baissa les yeux sur le bonbon avec lequel jouaient les doigts d'Elana. Comme il était en train de boire, il manqua de s'étouffer en remarquant qu'il s'agissait de la sucette en forme de coeur qui changeait de parfum de façon très irrégulière.

- Finalement, les Maraudeurs portent bien leur nom. Surtout toi.

Il n'avait pas quitté des yeux les mains d'Elana, qui tournaient et retournaient la friandise sans visiblement tenir compte de ce dont il s'agissait. L'avait-elle choisi au hasard ? S'était-elle demandée s'il l'avait prise spécialement pour elle ? Allons. Il s'agissait d'Elana Wild, de telles idées ne lui passaient jamais par la tête, c'était tout simplement improbable. Il ne s'agissait donc que d'une coïncidence. Cependant ...

- Surtout moi ? Pourquoi dis-tu cela ... Chérie ?

Il avait failli dire " mon ange ". Ce qui pour le coup, lui aurait valu de sérieux ennuis avec Elana. Elle aurait pu se braquer et le planter là comme un con, ce à quoi il lui aurait donné raison pour une fois. Esquissant un sourire amusé, plus pour se donner une contenance que par réel amusement, il posa son verre et vint poser sa main sur celle de la jeune femme, lui retirant délicatement la sucette. D'un geste vif et rapide, il la déballa et la remit ensuite entre les doigts de la belle brune, avant de replacer les siens autour de son verre, tout en levant sur elle un regard interrogatif. Il déclara gentiment :

- Ne t'attache pas forcément qu'à la forme, je t'assure qu'elles sont très bonnes.

Il resta un bref instant silencieux puis, voyant qu'elle ne semblait pas décidée à l'écouter et donc à goûter à la sucrerie, il reprit sur le sujet initial, d'une voix douce et curieuse :

- Mais j'aimerais savoir, pourquoi dis-tu que je porte bien mon nom ?

Il ne la quittait pas des yeux.

- Surtout moi ? Pourquoi dis-tu cela ... Chérie ?

Elle baissa les yeux, préférant contempler la sucette plutôt que son camarade. Le surnom la dérangeait mais pas de la manière attendue. Plus que de la colère, elle ressentait une sorte de gêne mêlée de joie. Comme si cette appelation était un prémice et que la suite l'intéressait. Comme si ...
Black venait de s'emparer de ses doigts, lui coupant la respiration. Elle détestait le contact, surtout lorsqu'il se faisait de manière aussi soudaine, et aurait donné cher pour récupérer ses mains. Sauf que la curiosité l'emportait sur le bon sens, la poussant à maintenir une immobilité parfaite pour voir où il voulait en venir.
Délicatement, il détacha ses doigts du bâtonnet de la sucette et relâcha son étreinte pour en défaire l'enveloppe. Une fois sa tache accomplie, il se réappropria sa main et y glissa la friandise avant de la libérer. Définitivement.

Elana trouvait le geste adorable et rageant tout à la fois. Elle se sentait comme une gamine incapable de se débrouiller seule ce qui entâchait la gentillesse dont il avait fait preuve. Tentant de calmer son désir d'indépendance, elle fit pivoter le bâtonnet entre ses doigts, se concentrant sur la rotation de la sucrerie pour se donner du temps. Black sembla respecter son mutisme. Un instant, du moins.

- Mais j'aimerais savoir, pourquoi dis-tu que je porte bien mon nom ?

Son regard, braqué sur elle, la brûlait. Elle n'aimait guère être observée, surtout pas avec insistance. Chacun de ses gestes lui donnait l'impression d'être un animal en cage qui se devait d'agir pour satisfaire les visiteurs. Redressant brutalement la tête, elle planta ses yeux dans les siens et laissa toute sa colère s'exprimait à travers eux. Un exercice délicat, pratiqué dans de rares occasions mais diablement redoutable.

- Un Maraudeur est un voleur qui s'attaque aux denrées avant leur récolte.

Plus elle parlait, plus le français lui semblait aisé. La constatation aurait ravi n'importe qui mais, à ses yeux, il s'agissait d'une trahison de la plus haute importance. Sa mère aurait sûrement apprécié qu'elle soit cultivé mais, au fond d'elle, Elana ne pouvait s'empêcher de haïr la France et tout ce qui s'y rattachait.

- En l'occurence, tu as dérobé ceci ...

Elle fit tournoyer la sucette entre ses doigts.

- ... avant qu'Honeyduke n'ai pu la "récolter". Elle a intérêt à être particulièrement savoureuse, si tu ne veux pas que je moucharde.

Sur un sourire malicieux à son camarade, elle porta la sucette à sa bouche pour la déguster. Ce n'était certainement parce que le vol était illégal qu'elle allait renoncer à une friandise.

Il ne se passa pas deux minutes avant qu'Elana le relève la tête, le regard brillant d'une colère puissante mais spontanée. Elle le fixa droit dans les yeux et ne lui laissa aucune possibilité de fuir ce regard, ce qu'il n'aurait, de toute manière, pas fait. Il ne fuyait pas devant les conflits ou les responsabilités. Et encore moins devant quelqu'un. La seule exception, celle qu'il lui arrivait parfois de regretter, remontait au temps où il avait fuit la maison de ses parents, après une séance de torture particulièrement dangereuse, presque mortelle. Mais il se disait qu'il n'avait pas eu le choix ... S'il était resté il serait mort, à l'heure actuelle. Ce qui n'aurait peut-être pas été plus mal ...

- Un Maraudeur est un voleur qui s'attaque aux denrées avant leur récolte.

Un sourire effleura fugitivement ses lèvres et il manqua de répondre qu'il avait tout du parfait Robin des Bois, voleur moldu réputé de Grande Bretagne, au temps de Richard Coeur de Lion, un des plus grand roi d'Angleterre. Il volait pour mieux donner ensuite. Sauf qu'en l'occurrence, il ne donnait pas aux pauvres mais à l'élue de son coeur. Qui n'en savait rien, bien évidemment. Et c'était certainement mieux ainsi, il n'osait pas imaginer la réaction d'Elana s'il lui avouait ses sentiments, de but en blanc, alors qu'elle tenait entre ses doigts une sucette en forme de coeur qu'il lui avait offert, de manière certes détournée mais le résultat restait le même. Elle aurait bondi et l'aurait tué sur place, à moins qu'elle ne se soit contentée de quitter les lieux sans un mot, sans un regard.

- En l'occurence, tu as dérobé ceci ...

Il regarda la sucette, qu'elle faisait gracieusement tourner entre ses doigts, avant de relever la tête pour croiser son regard. Il fut surpris et déstabilisé par l'absence de colère dans ses beaux yeux violets. Non, elle semblait tout à coup plus ... malicieuse, amusée.

- ... avant qu'Honeyduke n'est pu la "récolter". Elle a intérêt à être particulièrement savoureuse, si tu ne veux pas que je moucharde.

Elle lui adressa un sourire teinté de malice et porta ensuite la friandise à sa bouche, l'engloutissant gracieusement sans le quitter des yeux. Un peu étonné, franchement ravi, Sirius lui retourna un magnifique sourire, étincelant de joie et purement spontané. Puis, avisant la situation, il porta le verre à ses lèvres et bu un peu de whisky, avant de regarder les bonbons qu'il y avait sur la table. Très vite, il repéra un emballage de chocogrenouille, ainsi qu'une petite boite de dragée surprise. Lâchant son verre, il tendit les mains pour récupérer ces gourmandises, qu'il attira à lui d'un air satisfait. Sans plus attendre, il souleva le bonbon au chocolat, le dépouillant de son emballage avant de croquer dedans, affichant aussitôt une mine ravie et gourmande. Les chocolats, quels qu'ils soient, étaient réellement ses bonbons favoris.

Tout en finissant de faire un sort à sa grenouille, il balaya la salle du regard, s'attardant sur le vieil homme solitaire, assis à la table la plus au centre. Qu'il semblait vieux et usé, l'octogénaire ... Le poids des années alourdissait ses épaules et ses cheveux blancs comme neige semblaient ternes et sans vie. Pourtant, il était implacablement bien vêtu, à l'ancienne dans un costume trois pièces sombres, une cravate de bon goût savamment nouée autour de son cou, sous sa chemise immaculée. Un verre remplit d'un liquide bleuatre était posé devant lui et Sirius en déduisit qu'il devait s'agir d'un cocktail particulier. Aucun livre, aucun journal ne venait distraire le vieil homme, il se contentait de boire par à coup régulier tout en méditant, le regard dans le vague. A la lueur diffuse des appliques murales, Sirius pu voir qu'il avait les yeux bleus, profondément bleus. Comme le grand large, comme le ciel d'été avant la nuit, comme ses propres yeux lorsqu'il était de bonne humeur. Cette similitude lui fit penser à son oncle, Alphard Black, qui l'avait aidé dans sa fuite du foyer parental.

Puis, se souvenant du fait qu'il n'était pas seul, il détacha son regard du vieil homme rêveur, pour se concentrer sur Elana, qui l'observait d'un air un peu perplexe. Il lui adressa un joli sourire et lui tendit la boite de dragée surprise, qu'il avait ouverte, en disant d'un ton mutin :

- Tu tentes la première ?

Son sourire se fit plus malicieux tandis qu'il guettait la réaction de sa compagne.

La spontaneité et la joie éclatante qui émanaient du sourire de Black la surprirent. Il du d'ailleurs se rendre compte de son incongruité puisque, pour le camoufler, il porta son verre à ses lèvres et prit le temps d'avaler une longue gorgée de whisky. Son regard courait le long de la table, sondant le tas de bonbons d'un oeil expert, et à peine eut-il reposé sa boisson qu'il s'emparait d'une chocogrenouille. Il attrapa également une boîte des fameuses dragées de Bertie Crochue mais Elana n'en tint pas compte, amusée par l'air de franche gourmandise qui éclairait le visage de son camarade.
Alors qu'il s'attaquait joyeusement à sa friandise, ses yeux brillèrent avec la même intensité que ceux d'un enfant le jour de Noël. Elana connaissait déjà la passion de Remus pour le chocolat mais il était évident que Black partageait l'enthousiasme de son ami. Les soirées des Maraudeurs devaient ressembler à des orgies alimentaires qu'elle ne préférait même pas imaginer.

Tout en mangeant, Black balayait la salle du regard, n'accordant qu'une brève attention aux couples qui occupaient des sièges éloignés pour s'attarder sur le vieillard, installé seul à la table centrale. Curieuse de comprendre ce qui motivait l'intérêt de son camarade, Elana suivit son regard et observa l'homme avec minutie.
Il semblait âgé. Ses cheveux blancs et ses épaules légèrement voutées devaient renvoyer une image de vieillard usé par la vie aux autres consommateurs mais la jeune fille remarqua immédiatemment la fierté dans son menton, l'encrage parfait de ses jambes sur le parquet et le regard particulier qu'il jettait autour de lui. Un regard d'un bleu profond qui ne fixait rien mais auquel rien n'échappait non plus. Lorsqu'il leva son verre, elle admira le mélange de souplesse et de concentration qui se dégageait du geste. Cet homme était loin d'être un simple vieillard, pillier de bar et amateur de boissons étranges.

Un mouvement à la périphérie de son champ de vision détourna son attention et elle posa un regard perplexe sur Black. Il la fixait, un sourire avenant accroché aux lèvres.

- Tu tentes la première ?

Elle baissa les yeux et avisa la boîte de dragées qu'il lui tentait. Il ne s'agissait clairement pas de ses friandises favorites mais, bonne joueuse, elle tendit la main pour en saisir une. Rouge écarlate. Elle l'observa un instant, suspicieuse, avant d'hausser les épaules et d'en croquer un morceau. Rouge sang. Gardant un masque impassible, elle mâchonna courageusement la dragée tandis que le goût de fer rouillé se déversait dans sa bouche.
Dès qu'elle l'eut avalé, elle s'empara de son verre et le vida d'un trait. Le whisky lui brûla la gorge, embruma son esprit et tordit son estomac mais ne masqua nullement l'impression d'avoir de l'hémoglobine en bouche. Au contraire. Le goût explosa sur ses papilles, lui tirant un fugace rictus d'écoeurement. Elle se sentait salie, comme si elle venait de prendre une vie et que le précieux liquide l'avait éclaboussé, s'immissant jusque dans son organisme. Prise de nausée, elle repoussa sa chaise et se leva vivement.

- Je vais faire un tour.

Sans laisser la possibilité de répondre à son camarade, elle se précipita dans l'escalier et scinda la foule pour atteindre la sortie.
La fraîcheur nocturne la frappa en plein visage et elle inspira profondément pour calmer son malaise. La rue était encombrée de passants mais un long espace libre se dégageait à l'entrée du pub et elle s'appuya contre un mur pour observer la foule. Elle ne réalisa avoir oublié son blouson que lorsqu'une bourrasque plus forte que les autres la fit frissonner. Sauf qu'elle n'avait pas envie de rentrer.

Elana, sceptique mais assurée, s'empara d'une dragée écarlate qu'elle observa un instant avant de mordre délicatement dedans. Sirius saisi immédiatement le changement d'attitude. C'était purement instinctif, intuitif, car la belle brune affichait un masque impassible et impénétrable, mais Sirius était persuadé que la dragée n'était pas à la fraise. Ce qui fut confirmé par le mouvement brusque que fit son amie après avoir avalé le bonbon ... D'un trait, elle vida son verre de whisky pur feu, sans sourciller. Une grimace écœurée et dégoûtée déforma fugitivement son visage assuré et Sirius, interloqué et vaguement inquiet, n'eut pas le temps de réagir que déjà, elle se levait brusquement en repoussant sa chaise :

- Je vais faire un tour.

L'instant d'après, elle avait déjà disparut dans l'escalier en colimaçon. Elle se perdit alors dans le brouhaha indescriptible qui régnait en bas mais il entendit pourtant nettement la porte du bar claquer. Sans aucun doute, c'était elle, qui venait de sortir de l'établissement. Sirius ne bougea pas pendant quelques instants, observant machinalement la boîte de dragées surprises qu'il tenait encore à la main. Avisant une friandise en tout point identique à celle que venait d'ingurgiter son amie, il fronça les sourcils et s'en saisit délicatement. Il la porta à la hauteur de ses yeux, observant d'un air fasciné sa couleur si particulière, vive et profonde à la fois. Il ne pu s'empêcher de penser à la couleur du sang. Haussant les épaules, il la glissa dans sa bouche et mordit dedans sans plus attendre. Instantanément, il se raidit et avala le bonbon. Comme Elana avant lui, il tenta de faire passer le goût en avalant une longue gorgée d'alcool. Mais même l'intense breuvage ne suffit pas à laver sa bouche, il gardait sur la langue la saveur désagréable et immorale du ... sang.

- Désagréable, n'est-ce pas ...

Surpris, le jeune homme releva la tête et croisa le regard bleu azur du vieillard, qui l'observait d'un air grave. L'homme avait parlé dans un anglais impeccable et sans accent. Sirius, méfiant, ne répondit pas. Sans détourner les yeux, il inclina légèrement la tête et garda le silence, attendant de voir si le vieil homme allait poursuivre. Ce qui ne fut pas long :

- Ne t'en fais pas, garçon. Tu peux me répondre en anglais, je n'irais pas te dénoncer. Tu parles très bien le français mais ta jeune amie a un accent anglais parfaitement reconnaissable ...

Sirius esquissa un fin sourire et se détendit légèrement. A voix basse, il répondit simplement :

- J'aurais très bien pu ne parler que le français ...

Le vieil homme esquissa un sourire, dévoilant une rangée de dent impeccablement conservées, blanches et parfaitement bien alignées. De sa voix grave et profonde, un peu rocailleuse, il répliqua :

- Je ne me trompe que très rarement, jeune homme. Pour en revenir à la dragée que tu viens d'avaler, elle avait le goût du sang, n'est-ce pas ? Je te conseille d'en prendre une autre, jaune de préférence. Si tu as de la chance, tu peux tomber sur un parfum citron, ce qui fait très bien passer la saveur métallique de ta dragée précédente.

Surpris, Sirius observa longuement son interlocuteur fortuit. Il n'était pas d'un naturel confiant mais en l'occurrence, il apprécierait de ne plus avoir cet insupportable goût dans la bouche. Jugeant que ça n'engageait à rien et que de toute manière, il ne pourrait pas tomber sur pire, il prit une dragée jaune et la fourra dans sa bouche. Il esquissa un sourire amusé, savoura le bonbon avant de l'avaler pour dire enfin :

- Merci Monsieur. C'est efficace ...

Le vieil homme lui adressa un clin d'oeil complice et attrapa posément son verre pour en prendre une gorgée, qu'il sembla goûter longuement, comme un connaisseur, un professionnel. Curieux, le grand Black l'observa en silence, impressionné par le calme et l'assurance dont il faisait preuve. Vieux mais d'une élégance rare, d'une vitalité sage, le vieillard l'intriguait. D'un geste, il ramassa les bonbons et les fourra dans sa poche. S'emparant de la bouteille de Whisky et des verres, il se leva et gagna la table de son interlocuteur. Ce dernier sembla content de voir arriver le jeune homme et il l'invita d'un geste à s'asseoir. Puis, il déclara d'un ton amusé :

- Ta jeune amie à oublié son blouson ...

Il désigna d'un geste du menton le blouson de cuir noir qu'Elana avait apporté sans daigner le mettre. Sirius tourna la tête et afficha un air agacé. Le vêtement les encombrait plus qu'autre chose. Néanmoins, il alla le chercher et le suspendit au dossier de la chaise sur laquelle il s'installa, face à son nouvel interlocuteur. Il songeait à aller chercher Elana, peu rassuré à l'idée de la savoir seule dehors, dans la foule et ... le froid.

- Tu devrais peut-être aller la chercher, d'ailleurs ...

Sirius jeta un regard suspicieux et étonné au vieil homme, qui semblait lire dans ses pensées. Ce regard, si bleu et si pétillant de malice ... Il était certain de l'avoir déjà vu quelque part. Affichant un léger sourire, il répliqua cependant d'un ton assuré :

- Elle sait parfaitement se débrouiller toute seule. C'est une jeune femme pleine de ressource ... Vous n'imaginez même pas.

Quelque chose dans le sourire que lui adressa son interlocuteur lui fit douter de cette dernière affirmation. La sensation de familiarité s'accentuait. Finalement, Sirius se resservit un verre de Whisky et déclara d'un ton amical, en souriant :

- Au fait, je suis Sirius Black. Un anglais, comme vous l'avez si bien deviné. Et la jeune femme qui était avec moi se prénomme Elana Wild.

Il cru percevoir un éclair de nostalgie dans les yeux couleur grand large du vieil homme, mais ce fut si fugitif qu'il pensa avoir rêvé. Et puis de toute manière, cet inconnu irlandais ne pouvait pas connaître Elana, ce n'était pas possible. Enfin, Irlandais ... L'homme parlait l'anglais comme s'il l'avait fait toute sa vie, sans accent notable. Si, une certaine tendance à prononcer les mots à la London Way. Ce qui ne voulait rien dire ...

- Quant à moi, tu peux m'appeler Perceval.

Pas de nom de famille. Mais un prénom très anglais. Cela dit, Sirius ne pouvait rattaché ce prénom à aucune de ses connaissances. Il devrait se résoudre à l'idée que l'homme qu'il avait en face de lui n'était qu'un inconnu croisé par hasard. Après tout, c'était parfaitement possible. Douteux, mais plausible.

- Vous êtes anglais, Mister Perceval ...

Le vieil homme esquissa un sourire et acquiesça d'un signe de tête. Il ne reprit pas la parole et Sirius jugea préférable de ne pas insister. Un monstrueux éclat de rire, gras et alcoolisé, monta du rez-de-chaussé et le jeune homme fit une grimace dégoûtée, un peu écœuré par tant de vulgarité. L'idée qu'un de ces hommes ivres puisse tenter de s'en prendre à Elana le fit frémir et il se leva vivement.

- Je vais chercher mon amie. Je reviens.

Un curieux prés sentiment vit le jour en lui. Lorsqu'il remonterait, accompagné d'Elana, le vieil homme ne serait plus là. Il en était certain, sans pourtant pouvoir expliquer pourquoi ni comment. Il esquissa alors un fin sourire et s'inclina poliment, avant de s'éloigner vers l'escalier. En descendant, il jeta un coup d'oeil par dessus son épaule et remarqua que le vieillard reprenait une gorgée de son cocktail, qui semblait éternel. D'un seul coup, l'homme avait perdu de sa prestance. Vouté et tassé sur sa chaise, il semblait vieux, seul et mélancolique, presque triste. Sirius l'observa un instant avant de poursuivre sa route. En bas, sa stature de joueur de Quidditch lui facilita le passage et il gagna la porte sans encombre malgré les nombreux regards envieux, voire lubriques, des femmes présentes, qui l'avaient pratiquement toutes suivit des yeux. Il ne s'attarda pas et quitta le bar, refermant calmement la porte sur lui.

Dehors, il se retrouva face à une foule de moins en moins dense, qui évoluait toujours dans le même sens, semblant descendre plus bas dans la ville. Jetant un regard à gauche puis à droite, il repéra finalement Elana appuyée contre le mur, elle paraissait observer la foule. Une puissante brise vint agiter ses cheveux et ceux de Sirius par la même occasion, ce qui donna à ce dernier l'occasion de remarquer qu'il faisait froid, vraiment froid. Et que sa jeune amie ne portait qu'un léger t-shirt. Inconsciente. Il descendit les marches du perron en retirant vivement son sweat shirt, non sans avoir rapidement transféré les bonbons dans les poches de son jean.

Il s'approcha d'elle et lui tendit simplement le sweat en disant :

- Hey Elana, tu vas chopper une pneumonie et ton humeur va s'en ressentir plus que d'habitude. Je te conseille vraiment de mettre mon sweat mais si tu ne veux pas, j'irais te chercher ton blouson.

Il était déterminé. Il fallait qu'elle se couvre, il ne faisait réellement pas chaud. Et encore, c'était un bel euphémisme. Le vent transperça son t-shirt mais il s'en fichait, il n'avait pas froid. Elana en revanche, virait au bleu tant son visage était mordu par la brise glaciale. Il lui adressa un regard franc et clair, sans autorité mais très assuré. Puis, gentiment, il lui sourit.

Adossée au mur, Elana observait le flux irrégulier de la foule. L'ensemble ressemblait à une immense marée verte, se mouvant de manière incertaine à cause de l'alcool et se déversant dans les rues avec une sorte de violence. A vrai dire, elle persevait nettement le danger que représentait une telle masse. Inattentive, écrasante. Mortelle. Qu'un drame survienne dans la nuit ne la surprendrait guère.

Une douleur cuisante irradia son bras. Détachant son dos du mur, elle lança un regard meurtrier au groupe d'hommes qui venaient de s'arrêter devant elle. Celui qui l'avait pincé avait encore la main tendue dans sa direction, un sourire goguenard aux lèvres. Instinctivement, elle posa la main sur le manche de son poignard.

- Ceux qui ne portent pas de vert se font pincer, gamine.

Les relents d'alcool la firent froncer le nez. De tels soûlards ne méritaient pas sa lame, aussi la repoussa-t-elle d'un geste las.

- Ceux qui me pincent se font corriger, ivrogne.

L'homme ne sembla pas apprécier la réplique, déclamée d'un ton profondément moqueur, puisqu'il se jetta en avant. Rugissant, il lança son poing vers son visage. Tenta de le lancer. Le coup ne fit que l'effleurer et, s'étant décalée, elle saisit son poignet entre ses doigts pour accentuer son élan. L'homme s'écrasa contre le mur.

- Il y a d'autres amateurs ou ma garde robe convient à ces messieurs ?

Elle adressa un sourire éclatant au reste de la troupe, se délectant de leur stupeur et de l'hésitation qui flottait sur le groupe. Ils se turent un instant, leur regard allant de sa frêle silhouette d'adolescente à la carcasse de leur camarade puis, d'un commun accord, ils ramassèrent ce dernier et se fondirent dans la foule.
Déçue, Elana poussa un bref soupir et reprit appui contre le mur. Cette petite altercation avait eu le mérite de la distraire et elle aurait aimé poursuivre. Au moins n'avait-elle pas pensé à l'affreuse saveur qui emplissait sa bouche pendant ce temps ...

Alors que la foule se rarefiait, le vent se leva de nouveau et vint agiter ses cheveux. La morsure contre ses bras nus était assez désagréable mais elle ne sentait pas encore prête à retourner auprès de son camarade. Il lui fallait d'abord chasser les dernières images de souvenirs peu glorieux, oublier le sang qu'elle avait versé ou regardé verser. Sauf qu'elles étaient tenaces, de même que la vague de culpabilité qui les accompagnait.

- Hey Elana, tu vas chopper une pneumonie et ton humeur va s'en ressentir plus que d'habitude. Je te conseille vraiment de mettre mon sweat mais si tu ne veux pas, j'irais te chercher ton blouson.

Plongée dans ses pensées, elle ne l'avait pas entendu arriver et ne pu camoufler sa surprise qu'au prix d'un long frisson. Black se trouvait à ses côtés, un gentil sourire aux lèvres et le sweat vert tendu dans sa direction.

- Et toi ?

Elle n'avait pas protesté, ne l'avait pas envoyé promener et devait reconnaître que sa question était sincère. Le froid devenait insupportable et l'intention était louable mais, sans son pull, Black ne vaudrait pas mieux qu'elle. Pourtant, une lueur de farouche détermination brillait dans son regard d'acier et elle se surprit à tendre la main en direction du vêtement. Il le lui abandonna, visiblement satisfait par sa docilité, et elle l'enfila en silence.

Il était grand, trop grand, mais une agréable sensation de chaleur étreignit son corps et elle ne pu retenir un soupir de satisfaction. Par réflexe, elle attrapa les bords des manches et les tira sur ses mains avant de fermer les poings, ne laissant apparaître que ses doigts repliés. Elle saisit ensuite le col du sweat et le remonta sur son nez, rougi par le froid et qui lui donnait l'impression de pouvoir se briser au moindre effleurement. L'odeur de Black lui emplit les narines mais elle fit mine de ne rien remarqué, se forçant à associer cette fragrance masculine à l'image de son propre frère.

- Merci.

Ce n'était pas dans ses habitudes mais Black devait être en train de mourir de froid et méritait qu'elle fasse un effort de politesse. D'autant qu'il lui avait offert à manger, à boire et lui avait épargné la foule ... En partant, elle avait cru que cette soirée serait une horreur en grande partie à cause de la présence du Gryffondor mais, à présent, elle devait bien reconnaître que si l'instant tournait à l'acceptable, c'était grâce à lui. Même si le goût atroce qui commençait à peine à s'estomper dans sa bouche lui était en partie dû.

S'adossant de nouveau au mur, elle se pelotona dans le vêtement du Gryffondor et posa de nouveau son regard sur la foule. A présent, les quelques dizaines de passants paraissaient bien seuls et elle sentait que la partie extérieure de la soirée touchait à sa fin. Désormais, tout se déroulerait dans les pubs, dans des salles bondées et malodorantes. Un rictus déforma sa bouche à cette pensée que l'idée de regagner l'intérieur accentua. Sauf qu'elle risquait de ne pas pouvoir y échapper bien longtemps, Black se retrouvant en t-shirt au milieu d'une rue venteuse. Et si elle lui rendait son pull, c'est elle qui risquait de mourir d'hypothermie.

Elana fixa résolument son regard droit devant elle et, avec une maladresse non feinte, glissa sa main dans celle de son camarade. Sans lui laisser le temps de réagir, elle enserra ses doigts, souleva légèrement son bras et se coula contre lui. Elle était maladroite, gênée par un tel contact mais consciente de la chaleur que pouvait procurer la promiscuité. Même maigre, elle permettrait à Black de tenir encore quelques instants, lui offrant le temps qu'il lui fallait pour trouver le courage de rentrer affronter la foule.

Sans vraiment réfléchir à son geste, elle quitta la rue des yeux et pivota de manière à se retrouver face à Black, appuyée contre lui. La chaleur dégagée par le coprs de son camarade lui fit du bien mais elle se trouvait trop mal à l'aise pour esquisser encore un geste. Elle devait avoir l'air ridicule, figée contre son torse et une main dans la sienne. Elle ferma les yeux.

Elle se tourna vers lui d'un air à la fois perplexe et calme. Il surpris une lueur d'inquiétude dans ses yeux lorsqu'elle demanda d'un ton posé :

- Et toi ?

Il ne jugea pas nécessaire de répondre, se contentant de l'observer fixement, droit dans les yeux. Elle tendit la main et s'empara du vêtement, qu'il lui laissa avec satisfaction. Elle l'enfila en silence et il ne pu retenir un sourire amusé lorsqu'elle eu terminé. Elle flottait dans le sweat, ce qui la rendait petite et fragile. Elle aurait pu paraitre vulnérable, s'il ne s'était pas agit d'Elana Wild. Machinalement, elle tira un peu dessus de manière à ce que seuls ses doigts dépassent du vêtement, avant de relever le col pour y enfouir le bas de son visage. Il ne s'était donc pas trompé, elle avait froid. Et cette tête de mule qu'elle était serait restée ici sans rien dire plutôt que de revenir chercher son blouson. Il avait parfois l'impression de la connaître par coeur.

- Merci.

Ou pas. Cette formule de politesse lui resta dans les oreilles comme une mélodie inconnue et étrangement décalée, terriblement inhabituelle. Non, décidément, il ne connaîtrait jamais la jeune femme sur le bout des doigts et cette idée était plutôt rassurante, au fond. Ainsi, elle le surprendrait toujours ... Et il aurait toujours envie de repousser ses limites, de découvrir plus que ce qu'elle voulait bien dévoiler. Il la désirait si fort, il l'aimait tellement ... Mais elle restait inaccessible.

Il la regarda s'adosser au mur et s'enfoncer plus profondément dans son sweat. Il esquissa un sourire à la fois doux et tendre, avant de détourner délicatement la tête, ne tenant pas à ce qu'elle lise trop ouvertement sur son visage. Il savait que sa physionomie n'était qu'un livre ouvert pour les autres, les émotions se reflétant sur son visage jusque dans leurs moindres nuances sans qu'il ne parvienne à en contrôler la moitié. Parfois, il savait rester impassible et neutre, mais ses yeux finissait toujours par le trahir. Il ne se contrôlait jamais assez et c'était un défaut qui lui coutait parfois très cher. Il fixa donc son regard sur les quelques personnes qui défilaient encore dans la rue, éparses et variées comme les bonbons de chez Honeyduke. Peu assuré, les yeux vitreux et les jambes flageolantes, la plupart des gens se rendaient bien vite et allaient se réfugier dans les bars les plus proches, cherchant chaleur, confort et alcool pour oublier le froid mordant de la nuit, balayée qui plus est par une brise nordique des plus froides. Il en sentait les coups de fouets à travers son t-shirt sombre et bientôt, il su qu'il avait la chair de poule. Il résistait facilement au froid mais à l'heure actuelle, il devait reconnaitre qu'il ne faisait réellement pas chaud. Vraiment pas. Du tout.

Il en était là dans ses pensées lorsque tout cessa. Elana venait de lui prendre la main, court-circuitant ainsi toutes ses facultés de raisonnement et d'analyse. Interdit, immobile et incrédule, il la sentit resserrer l'étreinte de leurs doigts avant de venir se glisser contre lui, s'appuyant contre son torse sans toutefois le regarder. Une chance parce qu'il devait offrir un sacré spectacle, mélange flagrant d'incrédulité et de surprise, auxquelles vinrent s'ajouter un soupçon de méfiance. Une chaleur nouvelle et peu naturelle envahissait doucement son corps, lui faisant lentement perdre pied. Il n'avait plus froid et la nuit n'était plus si noire, d'un seul coup.
Elle tourna sur elle-même et, toujours sans croiser son regard, elle se retrouva le nez dans son torse, lui tenant toujours une main. Avait-elle trop bu ou agissait-elle de son plein gré ? Il se souvint de ce qu'avait prit la jeune femme, soit un verre de whisky, qu'elle avait fini cul sec. Mais il la connaissait, il lui en fallait beaucoup plus que ça pour être un peu joyeuse. Elle était donc parfaitement consciente de ses actes. Difficile à croire, quand on savait qui elle était. Mais Sirius ne voulait plus réfléchir. Les questions qui s'entrechoquaient dans sa tête et l'empêchaient de profiter de l'instant, il donna un coup de pied dedans et esquissa un magnifique sourire, éclatant de joie et de tendresse, avant de lever les bras pour enlacer la jolie brune, délicatement. Elle était tiède et la chaleur était agréable, mais pas autant que la sensation de l'avoir enfin contre lui, de la serrer dans ses bras sans être obliger de lui voler l'instant. Pour une fois, pour la toute première fois peut-être, ils partageaient une étreinte, volontairement.

Heureux, il referma plus étroitement ses bras autour d'elle et se laissa aller contre le mur, s'y adossant sans lâcher la jeune femme. Il inspirait profondément le parfum boisé de ses cheveux sombres, senteur sauvage et délicate, à l'image de ce qu'elle était. Il aurait voulu que l'instant dure toujours, que la nuit ne s'arrête jamais. Mais il savait qu'elle était mal à l'aise dans ses bras, ce n'était pas naturel pour elle. D'ailleurs, même si elle s'était un peu détendue, elle restait plutôt raide. Il su que s'il voulait lui rendre service, il devrait mettre fin à l'étreinte pour la ramener à l'intérieur, où il faisait plus chaud et où elle pourrait éviter de se retrouver trop proche de lui.

A contre coeur, il se résigna à se séparer d'elle pour retourner dans le pub. Comme d'habitude, il masqua sa déception avec un peu d'humour, jouant les désinvoltes alors qu'il aurait tout donné pour ne pas bouger :

- Je sais que je suis confortable, Chérie, mais nous devrions rentrer ... La nuit promet d'être glaciale.

Il ne la lâchait pas pour autant, prolongeant le moment jusqu'à ce que ce soit elle qui le brise. Il espérait ...

Paralysée par la gêne, Elana fut incapable de relâcher son étreinte lorsque Sirius leva les bras si bien que sa main se retrouva étirée en arrière, tordue de manière douloureuse, mais pas encore assez pour lui rendre ses moyens et la capacité de se dégager. Et son malaise ne cessait de grandir alors qu'il la serrait contre lui, allant jusqu'à provoquer une légère tachycardie qu'elle ne tenta même pas d'analyser, préférant se concentrer sur son souffle. Si Black percevait sa respiration hâchée, il ne manquerait pas de la provoquer à ce sujet, ce qu'elle ne souhaitait absolument pas, certaine de ne pouvoir se défendre.

Doucement, Black reserra son étreinte et s'appuya contre le mur, la forçant à se coller contre son torse pour ne pas tomber, avant d'enfouir le visage dans ses cheveux. Il en huma le parfum, profondément, ce qui provoqua quelques ratés dans son rythme cardiaque. Malgré les dires de Cassandra et la drôle d'attitude qu'il avait adopté depuis plusieurs jours, Elana n'aurait jamais imaginé que Black puisse se délecte de leur contact à ce point. Elle qui s'était rapprochée de lui dans le seul but de lui procurer un peu de chaleur, de le retenir un instant, se retrouvait prise à son propre piège. Même son organisme lui faisait défaut et elle se retrouvait bêtement figée, son coeur battant la chamade et ses doigts serrant ceux de Black comme s'il s'était agit de son dernier lien avec le réel.

- Je sais que je suis confortable, Chérie, mais nous devrions rentrer ... La nuit promet d'être glaciale.

La voix du Gryffondor la fit tressaillir. Obnubilée par leur étreinte, elle avait presque oublié qu'il se trouvait dehors en simple t-shirt et devait souffrir le martyre. Pourtant, malgré ses dires, il ne faisait pas mine de la lâcher, allant même jusqu'à accentuer encore l'emprise qu'il avait sur son corps. Renforçant son malaise.

Agacée par son comportement, Elana se força à prendre une profonde inspiration. La respiration était primordiale à la détente et lui semblait être à la meilleure alternative dans la situation actuelle.
Lui semblait.
Erreur.
Alors qu'elle prenait une goulée d'air, le parfum de Black frappa ses narines et lui fit perdre toute contenance. Elle adorait la menthe poivrée. Elle était censée détester ce garçon, reprendre la maîtrise de son corps, et voilà qu'il possédait l'un des parfums les plus envoûtants de la Terre. Finalement, son allégeance à Voldemort avait fini par lui attirer des ennuis ... Sans pouvoir se contrôler, elle agrippa le t-shirt de Black de sa main libre pour le rapprocher d'elle et enfouit le visage dans son cou, s'ennivrant purement et simplement de sa fragrance. Elle en avait oublié jusqu'à l'endroit où ils se trouvaient, jusqu'à la simple décense et se contentait de profiter pleinement de cette odeur si agréable.

L'image d'un chien reniflant un lampadaire traversa son esprit et elle se dégagea brutalement. Faisant plusieurs pas en arrière, elle se retrouva au bord de la route, le bras tendu devant elle puisqu'elle n'avait pas eu la présence d'esprit de lâcher la main de son camarade. Ridicule, jusqu'au bout.

- Je ...

Elle inspira briévement mais souffla longuement, rassemblant ainsi toute son énergie et évitant d'offrir la moindre faille au Gryffondor. Même si elle doutait de ses connaissances en matière de respiration, il était hors de question qu'elle prenne le moindre risque après s'être comportée comme la dernière des traînées.

- J'ignorais qu'il existait de tels parfums dans les shampooing anti-puces.

Son ton était calme mais sa remarque tranchante. Digne de l'Elana qu'il avait l'habitude de côtoyer et permettant de le prévenir qu'il risquait gros s'il se permettait la moindre allusion à ce qui venait de se dérouler.

Détachant leurs doigts, elle récupéra son bras et tourna les talons. Sans daigner lui accorder un regard, elle regagna le pub d'une démarche assurée et conquérante. Pourtant, dès lors que la foule fut assez compacte pour qu'il ne puisse plus l'apercevoir, elle accéléra l'allure et se précipita vers les escaliers. Elle se sentait idiote, fragile et redoutait de devoir affronter son camarade avant d'avoir retrouvé un semblant de calme. Elle comptait donc sur la bouteille de whisky que Black avait laissé sur leur table pour se donner une contenance.

La salle qu'ils avaient quitté quelques minutes auparavant n'était plus occupée que par un seul et unique couple qui ne lui accorda aucune attention. Dans un soupir de soulagement, elle se laissa tomber sur sa chaise et attrapa la bouteille d'une main légèrement tremblante. Sans réfléchir, elle porta le goulot à ses lèvres et avala une longue gorgée de la boisson. Un feu liquide lui brûla gorge et estomac, lui tirant une grimace de douleur mais annihilant toute trace du malaise dans le même temps.
Elle reposa la bouteille à l'instant où Black apparaissait en haut des escaliers.

Sirius ne comprit pas ce qui se passa mais il se retrouva agrippé par Elana, qui enfouit sa tête au creux de son cou afin d'inspirer profondément. Il savait qu'il avait un peu abusé de son parfum mentholé mais jamais il n'aurait pensé que ce dernier puisse avoir autant d'effet sur la jolie brune. Un sourire ravi effleura ses lèvres et il ne broncha pas, profitant de ce laps de temps imprévu durant lequel elle restait tout contre lui, plus près que jamais. Cependant, aussi heureux soit-il, il ne se faisait aucune illusion, ça n'allait pas duré.

Et bien entendu, la suite des évènements lui donna raison. Elana se détacha brusquement de lui, reculant de deux pas sans pour autant lui lâcher la main. Surpris, il baissa les yeux sur leurs doigts noués avant de les relever pour adresser un regard perplexe et interrogateur à la jolie brune. Cette dernière semblait à la fois excédée et mal à l'aise, irritée.

- Je ...

Il arqua un sourcil tandis qu'elle inspirait brièvement, expirant ensuite longuement. Elle semblait évacuer son malaise, sa colère et sa gêne mais il n'en était pas certain. Peut-être n'était-ce qu'une méthode pour se débarrasser de l'odeur entêtante de la menthe poivrée, parfum plutôt persistant quoi que délicat. Mais il avait déjà oublié à qui il avait affaire. Elle s'empressa de le lui rappeler, cassante et tranchante, ironique au possible :

- J'ignorais qu'il existait de tels parfums dans les shampooing anti-puces.

Typiquement Wild. Il encaissa sans broncher mais au fond de lui, il se sentit un peu vexé. Puis, il songea qu'elle aurait pu se montrer beaucoup plus cruelle. Il l'observa d'un air un peu intrigué avant de décider que ce n'était qu'une vaine tentative de passer leur instant sous silence. Elle ne voulait pas qu'il pense qu'elle avait pu ... apprécier. L'ombre d'un sourire éclaira son visage, l'espace d'une demie-seconde, mais elle disparut bien vite lorsque la jolie brune détacha leurs doigts. Sans un mot de plus, sans même un regard, elle fit volte face et s'éloigna en direction du pub, dans lequel elle pénétra sans se retourner.

Pensif, Sirius resta un moment appuyé contre le mur, dans la rue balayée par des bourrasques de plus en plus glaciales. Mais, pendant quelques minutes, le froid ne se fit pas sentir. Il résonnait encore des sensations inédites que le corps d'Elana avait provoqué en lui, leurs doigts entrelacer, sa tête au creux de son cou, son corps contre le sien ... Pour un peu, il se serait cru en train de rêver. Mais un courant d'air plus brusque et plus froid que les précédents le ramena à la réalité et il frissonna. D'une impulsion, il se détacha du mur et se dirigea vers l'entrée du bar, inspirant profondément une bouffée d'air glacé avant d'entrer dans la salle bondée. Des relents de sueur et d'alcool l'agressèrent aussitôt et il esquissa une réelle grimace de dégoût lorsque la fumée d'un cigare vint s'ajouter aux odeurs déjà désagréables. Jouant des coudes et des épaules, il se fraya sans peine un chemin jusqu'aux escaliers, qu'il gravit d'un pas puissant et assuré, savourant la morsure de la chaleur sur sa peau congelée. Son visage glacé le brûlait tout entier sous l'effet du trop vif changement de température, mais il esquissa un léger sourire en arrivant sur le palier de la mezzanine. Elana était assise à la place qu'elle avait quitté, quelques instants plus tôt, et venait visiblement de prendre une gorgée de Whisky. Remarquant que la bouteille était sur leur table, il fronça les sourcils et jeta un coup d'oeil sur la table centrale, qu'il avait occupé un petit peu avant de descendre chercher la belle brune.

Le vieux monsieur avait disparu et le blouson en cuir que Sirius avait transféré sur sa chaise était retourné à sa place initiale, tout comme la bouteille d'alcool et leurs verres. Balayant toute la salle du regard, il nota qu'ils étaient désormais seuls avec un couple qui semblait trop occupé pour leur prêter la moindre attention. Le grand Black esquissa un sourire amusé en remarquant que l'homme semblait vouloir avaler sa compagne tant le baiser qu'ils échangeaient était ... puissant. Haussant les épaules, il vint s'asseoir face à la jeune Elana et ressortit les bonbons de sa poche. Machinalement, il reprit une friandise au chocolat et, lorsqu'il eut terminé, il se servit un verre de Whisky. Dans le même mouvement, il en servit un bon trait à son amie, sans lui demander son avis. Poussant le verre vers elle, il avala d'une traite le sien.

Reposant son verre vide, il esquissa un sourire et demanda alors :

- Pourquoi n'aimes-tu pas la France, Sweety ?

La question était spontanée et incongrue, sans aucun avertissement. Mais il voulait savoir. Il la regardait d'un air parfaitement calme, lucide et attentif, légèrement interrogateur. Allait-elle l'envoyer balader ou lui répondrait-elle franchement ? Si elle ne le faisait pas, il faudrait qu'elle trouve un sujet de conversation car il ne voulait pas être le seul à faire des efforts.

Immobile en haut des marches, Black fronça les sourcils lorsque son regard se posa sur la bouteille. Durant un instant, elle cru qu'il désapprouvait son geste et ouvrit la bouche pour une remarque désagréable mais, avant qu'un mot n'est franchi ses lèvres, elle le vit balayer la table centrale du regard. Ravalant ses paroles acides, elle l'observa avec curiosité, incapable de saisir son attitude. Le vieil homme qui se trouvait installé là quelques instants plus tôt était parti, il n'y avait pas de quoi provoquer un intérêt aussi vif chez son camarade. Sauf ...

Il avait mis du temps à la rejoindre au dehors. Et si elle faisait appel à toutes ses facultés d'observation, elle pouvait affirmer avec une certitude quasie totale que la bouteille de whisky ne se trouvait pas exactement là où Black l'avait laissé. Ses conclusions étaient peut-être attives mais elle commençait à croire que son camarade avait eu une conversation avec le vieil homme, ce qui aurait expliqué le regard qu'il coulait sur la table abandonnée.
Avant qu'elle n'ai pu étayer sa théorie, Black s'était de nouveau assis face à elle et entreprenait d'étaler sur la table les friandises qu'il avait dérobé. Elle l'en remercia intérieurement, pouvant ainsi se concentrer sur l'amas de papiers colorés pour éviter son regard et, ainsi, conserver un minimum d'assurance.
Il attrapa un bonbon enrobé de chocolat et, après l'avoir mis dans sa bouche, entreprit de leur resservir à boire. Même s'il ne lui avait pas demandé son avis, Elana fut ravie de le voir remplir son verre et le pousser dans sa direction. Elle avait un besoin vital de noyer son esprit et les réflexions troublantes qui menaçaient de s'y former.

- Pourquoi n'aimes-tu pas la France, Sweety ?

Cette fois-ci, elle le maudit intérieurement. Sa question avait beau lui changer les idées, elle n'en restait pas moins délicate et embarassante. Personnelle. Et parfait symbole de ses faiblesses, celles-là même qu'elle tentait de masquer coûte que coûte.

Plutôt que de lui répondre, elle attrapa son verre et, l'imitant, le vida d'un trait avant de le reposer délicatement sur la table. Concentrée sur sa tâche, elle le pencha de manière à ce que seul un bord reste en contact avec la table puis le fit rouler sur la surface boisée. Black ne disait rien, ne bougeait même pas, attendant sa réponse. A moins qu'il ne se demande ce qu'elle allait pouvoir trouver comme moyen de l'esquiver ; après tout, il la connaissait bien. Cette réflexion lui tira un sourire narquois.

- Nous parlons français, ta question va paraître étrange.

Elle pointa le couple du menton, réalisant trop tard que l'homme était bien trop occupé à étouffer sa compagne pour prêter attention à leur conversation. Détournant le regard avec une grimace de dégoût, elle se reconcentra sur son verre. Elle détestait les effusions publiques, surtout lorsqu'elles s'avéraient aussi peu ragoûtantes.

- Mon père n'est peut-être pas très fréquentable mais il m'a au moins appris à me tenir, lâcha-t-elle avec mépris.

La remarque était venue naturellement, sans qu'elle puisse la retenir. A nouveau, elle se sentit mal à l'aise. En parlant ainsi, elle ouvrait la porte à une multitudes de questions et de déductions de la part de Black. Il était fin et observateur, deux qualités dangeureuses pour ses secrets. Pour couper court, elle se força à réfléchir à sa première question. Ainsi, elle aurait l'air suffisamment concentrée pour qu'il n'essaie pas de la déranger. Et puis, elle pourrait peut-être trouver une réponse adéquate, ni trop évasive, ni trop intime, et calmer la curiosité de son camarade pour un temps.

La France, donc. Un pays complexe et attrayant, baignant dans la culture, l'histoire et le raffinement. Elle n'en avait pas vu que les meilleurs aspects mais le souvenir qu'elle conservait de ce pays était malgré tout positif ... si elle faisait abstraction du réveillon qu'elle y avait passé, l'année de ses neuf ans. A l'époque, sa mère fuyait l'Angleterre pour éviter Tom Jedusor. Non, en réalité elle fuyait de pays en pays pour handicaper Greyback dans sa traque. Ce qui n'avait fait que retarder l'échéance, évidemment ... Personne n'échappait au loup-garou le plus sanguinaire du Royaume-Uni. Encore moins lorsqu'il agissait sur ordres du plus puissant mage noir que la Terre n'ai jamais porté. Enfin ... A l'époque, son père n'était pas encore Lord Voldemort. Pas totalement. Il ne possédait que quelques horcruxes, avait encore une apparence humaine et, surtout, commençait à peine à faire parler de lui. De ce qu'elle se souvenait, il était encore un homme avec elle. Juste avec elle mais c'était déjà ça.

De toute façon, elle n'avait jamais été objective à son sujet. Même après avoir assisté au meurtre de sa mère, elle n'avait pu le voir comme le monstre qu'il devenait. Elle continuait de le revoir tel qu'il était lorsqu'elle était enfant et qu'elle pouvait l'attendrir avec une facilité déconcertante. Plus tard, elle avait compris qu'il n'agissait ainsi qu'avec elle. Personne d'autre, juste cette enfant qui prenait une place qu'il ne comptait pas lui accorder, à l'origine. Elle savait qu'elle n'existait que pour combler ses rêves de dynastie du Mal, pour conserver la jeunesse qu'il chérissait tant et qui le fuyait déjà ... Il l'avait conçu pour l'utiliser ; elle l'avait séduit. Cette raison, tout à fait narcissique, suffisait à le rendre irréprochable à ses yeux. Même lorsqu'elle revoyait le carnage qu'avait fait Greyback.

Un frémissement parcouru son échine lorsqu'elle se laissa aller au souvenir de cette nuit. Comme dans ses cauchemars, elle ne voyait que du sang. Partout. Sur les murs, sur le parquet, sur son visage... Sur les lèvres de cet homme qu'elle connaissait comme ami de son père et qui, à présent, éventrait sa mère comme un animal. Venait ensuite l'odeur. La nauséabonde odeur d'entrailles qui se dégageait du cadavre. La scène était insupportable, inhumaine, malsaine au possible ... Elle n'avait pas détourner le regard. A aucun moment. Du haut de ses neuf ans, à peine révolu, elle n'avait pu détacher les yeux de cet homme qui dépeceait sa mère avec des airs de bête sauvage.

D'un geste brusque, Elana attrapa la bouteille de whisky et en avala une longue, très longue, rasade. La brûlure la fit grimacer mais, au moins, avait-elle réussit à enrayer la nausée qui lui tordait l'estomac. Sans relâcher la bouteille, elle darda son regard dans celui de Black.

- Je déteste la France parce qu'elle m'a prit ma mère.

Elle s'était montrée franche, sûrement pour la première fois de sa vie. C'était désagréable et délicieux à la fois, comme un poids auquel on s'habituait et que l'on retirait brutalement. Il n'y avait que Black pour lui faire parler d'elle de la sorte mais, refusant cette vérité, elle préfèra mettre ses révélations sur le compte de l'alcool.

Un éclair d'irritation passa dans ses yeux violets et elle baissa la tête. Elle vida son verre d'une traite et entreprit ensuite de jouer avec. Suivant le geste, il observa la façon dont elle faisait rouler son verre sur la table. Précise, assurée et rapide, elle contrôlait cette situation à la perfection. Comme beaucoup d'autres, d'ailleurs. Sirius n'avait pas souvent vu Elana perdre la maîtrise d'elle-même ou de son environnement. Mais il gardait le souvenir des rares fois où c'était arrivé. Dont une qui lui avait valu une cicatrice de plus, au niveau de la gorge. Elle restait quelqu'un de dangereux, dans tous les cas. Et il avait beau le savoir, parfois il l'oubliait. Elle lui plaisait tellement ...

- Nous parlons français, ta question va paraître étrange.

Elle avait tourné la tête et désignait d'un geste du menton le couple qui s'embrassait, quelques tables plus loin. Amusé, il ne détourna pas le regard et pu ainsi voir la grimace de dégoût qu'elle esquissait en reportant ses yeux sur lui. Ainsi, les démonstrations n'étaient pas à son goût. Certes, celle là était beaucoup trop osée, limite indécente, mais ça n'en restait pas moins une preuve d'amour.

- Mon père n'est peut-être pas très fréquentable mais il m'a au moins appris à me tenir ...

Le ton méprisant n'échappa pas à Sirius, qui songea que si par le plus grand des miracles un jour il parvenait à sortir avec Elana, il savait à quoi s'en tenir de ce côté là. Mais rêver ne servait à rien, il se ferait du mal inutilement. Ce n'était déjà pas brillant maintenant, il n'avait pas besoin d'en rajouter avec une projection dans un futur utopique et improbable. Il allait se détruire, s'il continuait à idéaliser son avenir de la sorte.
Il préféra donc se concentrer sur le présent, autrement moins séduisant mais plus rassurant, quelque part. Et puis au fond, il avait de la chance ce soir. Elana était avec lui, ils étaient seuls dans un bar inconnu au milieu d'un pays plutôt hostile. La situation aurait pu être pire ... Et la présence de la jolie brune lui plaisait énormément. D'autant plus qu'il était le seul à pouvoir en profiter ...
Mais elle avait parlé de son père. A plusieurs reprises, elle l'avait évoqué. Il aurait aimé poser des questions, en apprendre plus pour enfin connaître l'identité de ce père tant adulé. Pourtant, quelque chose dans la voix de la belle brune indiquait que son père avait perdu un peu de cette admiration qu'elle lui vouait. Il ouvrit la bouche dans l'idée de demander des précisions lorsqu'elle attrapa la bouteille de Whisky et en avala une longue rasade, d'un seul coup. Un peu choqué, vaguement inquiet, Sirius songea un instant à lui retirer délicatement le précieux breuvage des mains, mais il se ravisa en se souvenant de la personne à qui il avait affaire. Après tout, elle était assez grande pour savoir ce qu'elle faisait. Du moins, il l'espérait ...

Elle esquissa une grimace de dégoût et Sirius révisa son jugement. Non, elle ne savait peut-être pas ce qu'elle faisait, en fin de compte. Mais il n'eut pas le temps de réagir car elle planta son regard violet sombre dans le sien, couleur grand large. D'un ton qui ne souffrait aucune hésitation, aucun vacillement, elle déclara :

- Je déteste la France parce qu'elle m'a prit ma mère.

La franchise dans sa voix et l'expression déterminée de son visage prouva au grand Black qu'elle ne plaisantait pas. Elle venait de lui faire une sacrée révélation, au regard de sa personnalité énigmatique et solitaire, renfermée et indépendante. Interloqué mais suffisemment diplomatique pour ne rien montrer, Sirius tendit la main droite et attrapa la bouteille, qu'il dégagea délicatement des doigts de la belle brune. Il hésita un instant mais, avisant le regard sombre de son amie, il jugea préférable de la resservir avant qu'elle ne fasse un esclandre. Il redressa donc le verre et versa le liquide ambré dedans, une dose plus que raisonnable mais après tout, elle semblait en avoir besoin. Il était mal à l'aise à l'idée de la saouler de la sorte mais il se donna bonne conscience en se promettant de rester sobre et de la tenir lorsqu'elle dépasserait les bornes. Il ne se resservit donc pas mais garda une main sur la bouteille, évitant ainsi certains débordements.
La France lui avait prit sa mère. Il ne fallait pas chercher longtemps avant de comprendre qu'Elana parlait d'une mort et non d'une disparition inconnue. Madame Wild était morte dans le pays des lumières et, d'après ce qu'il percevait dans le ton de sa compagne, ça ne s'était pas fait naturellement. Donc, il y avait eu meurtre. D'une voix douce et calme, Sirius demanda :

- Et qui a tué ta mère, Elana ?

Un éclair de surprise éclaira le visage de la jolie brune, comme si elle s'étonnait des capacités de déduction du jeune homme. Il lui adressa un bref sourire mais ne la quitta pas des yeux, attendant une réponse ou une esquive, un mouvement d'humeur ou un changement de sujet. Il voulait savoir ce qui c'était passé en France. Au fond de lui, il était convaincu que si elle lui révélait cela, il serait à même de mieux comprendre Elana. De mieux l'aimer, aussi, qui sait ...

Les traits de Black restèrent impassibles alors qu'il tentait la main vers la bouteille, la dégageant délicatement de l'emprise de ses doigts. Elle ne protesta pas, encore sonnée par sa propre franchise et étonnée du manque de réaction de son camarade. A vrai dire, elle commençait à croire qu'il n'avait pas compris l'allusion mais n'était pas certaine de s'en réjouir. Le courage lui manquerait s'il lui fallait s'expliquer plus clairement ...
Sans lui en demander la permission, le Gryffondor lui retira également son verre. Elle s'apprêtait à protester lorsqu'il versa le liquide ambré, lui coupant l'herbe sous le pied et la rassénérant dans le même temps. Au moins aurait-elle la possibilité d'utiliser l'alcool pour faire tomber ses barrières mentales et assouvir la curiosité de Black.

- Et qui a tué ta mère, Elana ?

La brutalité de la question lui fit briévement écarquiller les yeux. Certes, Black n'était pas connu pour ses ronds de jambes et avait tendance à mettre les pieds dans le plat. Elle n'aurait pas cru, cependant, qu'il fusse aussi direct. Ni qu'il comprenne aussi vite que la mort de sa mère n'était pas un simple accident ... Au final, il était bien plus perspicace qu'elle ne le pensait. Et cela avait des avantages comme des inconvénients, lui permettant de ne pas avoir à parler elle-même de meurtre mais lui ôtant également toutes possibilités de se préparer. Il l'avait prise au dépourvu. Comme à chaque fois qu'il avait posé des questions graves, en réalité. Et comme à chaque fois, elle avait du mal à se retenir de lui avouer toute la vérité.

- Ma mère était une chose. Brillante sorcière mais piètre humaine, en réalité. Elle ne savait pas dire non, voulait toujours contenter son prochain. Elle est née pour cacher l'homosexualité de son géniteur, elle s'est mariée pour donner un héritier. Rien d'autre. Personne ne l'a désirée, son rôle a toujours été de servir les intérêts des autres.

Elana s'étonnait elle-même de la dureté de ses paroles. Pourtant, en y réfléchissant, elle ne pouvait s'empêcher de voir la vérité derrière chacun de ses mots. Sa mère avait été un pantin. Comme elle. Un pantin entre les mains de personnes chéries auxquelles elles ne voulaient pas faire mal. Pathétique.

D'un geste vif, elle s'empara de son verre et le vida à nouveau. D'un trait, sans se préoccuper du regard vaguement inquiet de Black. Même s'ils avaient de nombreux différents, elle savait pouvoir lui faire confiance et ne craignait donc pas de s'ennivrer. La ville lui était étrangère mais son camarade veillerait à ce qu'elle rentre à bon bord, c'était une évidence. Un peu effrayante mais une évidence malgré tout.

- Et que fait-on des choses lorsqu'elles ne nous servent plus ? Lorsqu'elles sont obsolètes ?

La lueur dans le regard du Gryffondor ne lui échappa guère mais elle préféra faire comme si de rien n'était. A vrai dire, l'alcool handicapait quelque peu ses capacités d'analyse et elle craignait de se tromper sur les sentiments réels du jeune homme. Si jamais elle croyait voir de la pitié, elle pourrait devenir particulièrement mauvaise. Acerbe, blessante ... Tout plutôt que de le laisser se vautrer dans cette compassion ignoble.

- Aller, je suis certaine que tu le sais. Fais un petit effort, ce n'est pas très compliqué. Les objets qui ne nous intéressent plus, on les jette. Un claquement de doigts et ils n'existent plus. C'est beau, n'est-ce pas, cette facilité ? Surtout lorsque l'on a les moyens de s'offir les services du meilleur nettoyeur du pays.

Elle avait conscience de la médiocrité de ses sarcasmes mais n'en avait cure. Il était déjà assez difficile de dire la vérité sans qu'elle ne prenne le risque de se laisser aller à montrer ne serait qu'une once de la souffrance que cela reprèsentait. Et si elle refusait la pitié, elle ne voulait pas non plus inspirer la moindre tendresse à Black, le moindre élan protecteur. Parler ainsi signé déjà la fin de son détachement en sa présence, inutile de s'abaisser encore plus en lui offrant une emprise sur sa personne.

- Les héritiers étaient là, plus nombreux que prévu mais ce n'est pas comme si on s'embarrassait vraiment de prévention à cette époque. La belle petite femelle docile ne servait plus à rien. Un claquement de doigts et ...

Sa phrase mourut et un lourd silence s'abattit entre eux. Elana aurait voulu attraper la bouteille de whisky mais Black avait posé une main dessus, signe subjectif qu'elle saisissait parfaitement. Se saouler lui était défendu.

Passé l'instant de surprise, Elana ouvrit la bouche et commença à parler, d'un ton placide et neutre, un peu dur :

- Ma mère était une chose. Brillante sorcière mais piètre humaine, en réalité. Elle ne savait pas dire non, voulait toujours contenter son prochain. Elle est née pour cacher l'homosexualité de son géniteur, elle s'est mariée pour donner un héritier. Rien d'autre. Personne ne l'a désirée, son rôle a toujours été de servir les intérêts des autres.

Elle était implacable et assurée, dure. Sirius lu dans son regard qu'elle ne faisait qu'exprimer une vérité qu'elle connaissait sans réellement vouloir l'admettre. Elle acceptait chaque fait comme authentique alors qu'elle l'exprimait clairement, à voix haute en face de lui. Mais le jeune homme préféra ne pas s'attarder sur le portrait social qu'Elana faisait de sa mère. Il aurait aimé qu'elle parle d'elle d'une façon plus ... sentimentale, psychologique. Pas aussi superficielle. Mais il ne fit aucun commentaire et attendit la suite.

La belle brune attrapa son verre et le vida d'un trait. Sirius fit un effort pour ne pas grimacer mais il posa sur elle un regard inquiet, attentif. Resserrant ses doigts sur la bouteille de Whisky, il l'attira un peu plus à lui dans l'idée d'éloigner l'alcool de sa brune amie, qui en abusait sans vergogne, sans même en avoir conscience. Mais la jeune femme reprit alors :

- Et que fait-on des choses lorsqu'elles ne nous servent plus ? Lorsqu'elles sont obsolètes ?

Sirius comprit instantanément. Les choses inutiles, on s'en débarrasse le plus rapidement possible, sans état d'âme. Mais un humain n'est pas une chose. Un éclair de colère incendia un instant son regard bleu azur, l'obscurcissant momentanément. Mais la jeune femme ne lui laissa pas le temps d'émettre la moindre remarque. Elle reprit aussitôt, sarcastique voire cassante :

- Aller, je suis certaine que tu le sais. Fais un petit effort, ce n'est pas très compliqué. Les objets qui ne nous intéressent plus, on les jette. Un claquement de doigts et ils n'existent plus. C'est beau, n'est-ce pas, cette facilité ? Surtout lorsque l'on a les moyens de s'offrir les services du meilleur nettoyeur du pays.

Elana tombait dans le mauvais sarcasme pour éviter de paraître trop sensible, mais il y avait autre chose dans sa voix. De l'amertume, du regret, de la colère, de la tristesse ... Autant de nuances si ténues qu'une autre personne que lui n'y aurait pas prêté attention. Mais Sirius connaissait Elana, de mieux en mieux maintenant. Et il percevait ces légères intonations qui venaient altérer l'ironie cassante qu'elle souhaitait montrer.

- Les héritiers étaient là, plus nombreux que prévu mais ce n'est pas comme si on s'embarrassait vraiment de prévention à cette époque. La belle petite femelle docile ne servait plus à rien. Un claquement de doigts et ...

Elle se tut et il ne broncha pas, laissant la phrase se perdre dans le lourd silence qui s'était abattu sur eux. Un claquement de doigt et la mort s'abattait sur la cible choisie, c'était aussi simple et horrible que cela. Sur un geste, un mot, un ordre, on retirait la vie à des innocents. Cette injustice avait toujours révolté Sirius mais, au fil du temps, il avait finit par se résigner tant bien que mal à l'idée qu'il ne pouvait rien faire. Du moins pour le moment ...
Elana posa son regard sur la bouteille d'alcool qu'il tenait dans ses mains mais ne fit aucun geste pour la lui reprendre. Il comprit qu'elle en voulait encore et, machinalement, retenant un haussement d'épaule, il la resservit largement avant de demander simplement, avec un calme terrible :

- Et quel âge avais-tu, lors du drame ?

Il reboucha la bouteille et la garda dans sa main, près de lui. Il préférait que ce soit lui qui dose l'alcool plutôt que de la voir tout boire d'un coup. Mais il ne la quittait pas des yeux, la forçant à soutenir son regard. Aucune lueur de pitié ne venait éclaircir son regard bleu, aucune compassion. Juste un intérêt franc et sincère, sans arrière pensée. Il voulait la comprendre, connaitre les traumatismes de sa vie. Son enfance. Ses parents. Son passé, visiblement sombre et mystérieux. Il voulait qu'elle lui raconte tout ça, sans qu'il soit obligé de lui arracher les mots de la bouche.

Sur un haussement d'épaules, Black versa une nouvelle dose de whisky dans son verre avant d'éloigner la bouteille. Apparemment, il préfèrait contrôler lui même sa consommation d'alcool, un geste paternaliste et agaçant qu'elle n'était toutefois pas en mesure de réprimer. Parler de sa mère la vidait de ses forces et un conflit n'aurait servi qu'à l'achever. Elle serra donc les dents et, pour toute forme de protestation, ne le remercia pas.

- Et quel âge avais-tu, lors du drame ?

Elana avait l'impression de revivre l'ensemble de son existence lorsqu'elle se trouvait en compagnie du Gryffondor. Il faisait surgir avec une facilité déconcertante des émotions et des souvenirs qu'elle avait enfoui au plus profond de son être, sans même en avoir l'air. Les questions paraissaient lui venir naturellement, comme si leur conversation était tout ce qu'il y a de plus banal et non une confession intime de sa rivale scolaire.

Au final, elle commençait à comprendre la distance qu'elle avait toujours taché de maintenir entre eux. Black était dangereux pour l'illusion qui l'entourait. Depuis le début de l'année, ils s'étaient rapprochés et elle en était venue à évoquer son père, à parler ouvertement de sa mère et même à avouer qu'elle n'était pas toujours irréprochable et forte. A ce rythme-là, il ne tarderait pas à savoir que les relations sociales la terrifiaient, qu'Amycus Carrow n'avait rien arrangé à cela, qu'elle avait un lien très fort avec Albus Dumbledore ou encore qu'elle avait séché l'examen de Divination lors des BUSES ! Peut-être irait-elle jusqu'à lui avouer son incapacité à vérifier la réalité des paroles de Cassandra puisqu'elle ignorait tout du sentiment que cette dernière prêtait à son ex-compagnon. Une confession qui les mettrait probablement aussi mal à l'aise l'un que l'autre ...

Il lui fallait donc esquiver, ne surtout pas se vautrer dans les souvenirs qu'elle avait de sa mère et de cette maudite nuit. Surtout, elle ne devait plus lui laisser l'occasion de la prendre par surprise. Il lui fallait reprendre le contrôle de la conversation et de la situation ; une tâche délicate avec de l'alcool dans le sang.

- Sûrement l'âge que tu avais quand ta mère a commencé à lever la main sur toi.

A vrai dire, l'enfance de Black lui était quasiment inconnue. Tout ce qu'elle savait, elle le devait aux rumeurs qui parcouraient les salons mondains et ne reflètaient certainement pas la réalité. Cependant, il lui fallait un moyen de contre-attaquer les interrogations de son camarade. Comme tout Poudlard, elle connaissait la répugnance que le Gryffondor avait pour sa famille et il ne serait donc pas surpris par sa remarque. Un intérêt soudain pour son histoire serait, par contre, bien plus étonnant ...

- Quoi que je n'en sache rien, au fond. Les aristocrates parlent mais ne disent pas souvent la vérité et je doute de la fiabilité des bribes de conversations glanées dans des soirées assommantes. D'autant qu'une histoire comme la tienne met mal à l'aise ... Ils aiment leurs illusions, nos chers nobles, leur bulle mensongère qui ne fait pas de vague dans la socièté. Les Black sont influents, qui plus est ; les faits te concernant ont dû être atténués.

Elle avala une gorgée de sa boisson, lui laissant le temps de se rebiffer s'il le désirait. L'expression neutre qu'il se forçait à aborder ne permettait pas à la Serpentard de déterminer clairement ses sentiments et elle ne voulait pas se fier à un détail aussi simple que la crispation d'une mâchoire.
Comme il ne réagissait pas, elle repoussa son verre et se pencha dans sa direction, posant les deux mains bien à plat sur la table.

- Quel âge avais-tu quand elle a commencé à te maltraiter, Black ?

Juste retour des choses. Remise à zéro des questions indiscrètes et gênantes.
Elana conserva sa position, faisant fi de la promiscuité de leurs visages.

Il aurait du se douter qu'elle ne répondrait pas, qu'elle ferait diversion. Mais jamais, au grand jamais, il ne s'était attendu à une telle réponse. Pourtant, il la connaissait, il savait qu'il ne fallait s'attendre à rien avec elle. Elle pouvait lui répondre comme elle avait la capacité énervante d'éluder. Mais là, elle biaisa. Elle tricha ouvertement, entrainant la discussion sur un terrain trop glissant ...

D'un ton à la fois neutre et légèrement insidieux, faussement candide, Elana répondit simplement :

- Sûrement l'âge que tu avais quand ta mère a commencé à lever la main sur toi.

Il fit un effort aussi violent que soudain pour ne pas broncher, pour ne pas tressaillir. Il ne l'avait pas quitté des yeux et pour une fois, il su qu'il pouvait être fière de son self-contrôle. Il aurait préféré qu'elle l'envoie sur les roses, qu'elle réclame la bouteille et s'enferme dans un mutisme borné qui lui aurait au moins laissé le choix de relancer la conversation, sur ce qu'il voulait. Là, elle prenait l'avantage. Il était trop droit et trop honnête pour fuir cette conversation quand elle s'était un peu dévoilée à lui, sous l'emprise de l'alcool ou consciemment. Elle avait parlé d'elle, il était juste et normal qu'il fasse de même. Mais pour le coup, il ne pu s'empêcher de maudire sa droiture, son caractère entier et juste. S'il avait été sans état d'âme, il aurait vidé la bouteille et serait parti comme un voleur, Elana ou non. Sauf qu'il n'était pas un monstre ...

- Quoi que je n'en sache rien, au fond. Les aristocrates parlent mais ne disent pas souvent la vérité et je doute de la fiabilité des bribes de conversations glanées dans des soirées assommantes. D'autant qu'une histoire comme la tienne met mal à l'aise ... Ils aiment leurs illusions, nos chers nobles, leur bulle mensongère qui ne fait pas de vague dans la société. Les Black sont influents, qui plus est ; les faits te concernant ont dû être atténués.

Elle bu une gorgée de whisky, lentement. Il avait crispé la mâchoire, sans répondre mais sans la quitter des yeux.
Oh oui, combien de versions étonnées couraient dans la haute société quant à son enfance, sa fuite ... Tout le monde y avait ajouté son avis, déformant la vérité à chaque fois que l'histoire était relatée. Tous les aristocrates avaient un pied dans le monde du seigneur noir, surtout les plus influents. Tous le considérait comme un traitre à son sang, le vilain petit canard, un déchet ... une moisissure sur la tapisserie familiale des Black. On s'était gaussé de lui, dans les salons, dans les grands rassemblements. On s'était ligué contre lui, contre sa rébellion honteuse, scandaleuse, un caprice d'enfant gâté comme il l'avait une fois entendu dire. Il était l'ennemi, la cible. Il avait toujours dit que c'était lui faire trop d'honneur que d'accorder tant de temps et d'énergie à l'incendier, qu'il était fier de provoquer de tels sentiments chez les mangemors et leurs sbires. Puis, avec la montée ne puissance des forces rebelles, des anti-magie noire, les ennemis de Lord Voldemort, les histoires sur son compte étaient devenues plus ... brouillonnes. Chacun s'arrangeait pour la servir à sa sauce selon l'interlocuteur. Ainsi, un même noble pouvait l'incendier un jour et l'encenser le lendemain, selon la personne à qui était destinés les discours.
Il trainait dans le monde une étrange réputation, qui en sept ans, avait grandi, enflé, évolué ... Désormais, la véritable histoire n'était connu que de ses parents, lui et les maraudeurs. Uniquement. Et il avait toujours dit qu'il en serait ainsi jusqu'à la fin de ses jours, personne n'avait besoin de connaitre son passé, de voir les stigmates. Il avait forgé un mur d'incompréhension autour de lui en brouillant les rumeurs, en servant trop de versions différentes pour qu'on puisse en élire une seule. Mais face à Elana ...

Elle repoussa son verre et posa les mains sur la table, à plat. Comme une adulte s'adressant a un enfant buté. Ce qu'il avait conscience d'être, au fond. Elle demanda simplement :

- Quel âge avais-tu quand elle a commencé à te maltraiter, Black ?

Il baissa la tête et inspira profondément. Lorsqu'il la releva pour replanter son regard dans celui de la jolie brune, il avait les yeux gris. Gris comme un ciel d'orage sur le point d'éclater. Gris comme le métal mouillé. Gris et sombre, ombrageux. L'azur du ciel d'été avait laissé place à la tempête. Il se servit un verre et le bu d'un trait, brisant son intention de rester plus ou moins sobre. Il savait qu'il avait encore deux verres de marge avant d'avoir à s'inquiéter. D'un ton brusque et cassant, il répondit en la regardant droit dans les yeux, défiant :

- J'avais sept ans, presque huit, lorsque j'ai pris mon premier Doloris.

Elle sembla accuser le coup mais il ne s'attarda pas sur sa réaction, poursuivant comme si de rien n'était :

- Parce que ce jour là, j'ai parlé à une sang de bourbe qui était dans le voisinage. Et même après que mon père ait tenté de m'expliquer que c'était mal, que je ne devais plus jamais le refaire ... Je m'en suis vanté. J'étais fier de faire enfin quelque chose de différent. Et a mes yeux, ce n'était pas une bêtise que de parler à ma jeune voisine. Si jeune et si insolent, si effronté ...

Il repoussa son verre et lâcha la bouteille, refusant de céder à la tentation de s'en resservir un. Croisant les bras sur son torse en se laissant aller au fond de sa chaise, il poursuivit de son ton cassant :

- Ma mère m'a demandé d'aller au salon et de l'attendre. Son ton ne présageait rien, c'était juste ... une sommation anodine. Elle est arrivé un peu plus tard, mon père sur les talons. Il tenait un fouet dans les mains. D'un sort, ma mère a déchiré le t-shirt que je portais. Et, à coup de Doloris, elle a tracé des marques dans mon dos. Deux, ce jour là. Et lorsqu'elle a eu fini, mon père a chauffé les blessures, avec deux coups de fouet.

Il esquissa un sourire cruel, cynique et désabusé avant d'achever en haussant les épaules :

- Et ce fut tout. J'étais inconscient alors je suppose que mon père m'a ramené dans ma chambre et m'a laissé étendu sur le ventre, dans mon lit. J'ai mis deux mois à m'en remettre. Ce furent deux mois de sursis. Ensuite ... C'est devenu une habitude.

Il se tut et observa tranquillement la réaction de la jeune femme. Ses yeux lançaient des éclairs de colère et de haine. Il détestait évoquer cette partie de son passé. Vraiment.

Gris. Comme le ciel d'orage. Comme la colère qu'il tentait de contenir. Presque noir, en fait.
Elana adorait les yeux de Black. Elle ne les avait jamais réellement observé auparavant mais force était de constater qu'il s'agissait d'une erreur. Ses iris possédaient des nuances incroyables, complexes et innattendues, qui reflètaient à la perfection l'humeur de leur propriétaire. Un risque face à un observateur attentif et ennemi ; une bénédiction face à une adolescente emmêchée et sensible à la beauté d'une telle gamme de teintes. Elle en aurait presque oublié la question qu'elle venait de lui poser. Presque.

- J'avais sept ans, presque huit, lorsque j'ai pris mon premier Doloris.

La brutalité de son ton fut aussi difficile à encaisser que la violence de ses mots. Sept ans. Et il en souffrait encore. Rien d'étonnant à vrai dire mais une telle réalité était difficilement appréhendable.
Totalement impossible à envisager, en fait.
Même Lord Voldemort n'avait jamais osé porter la main sur ses enfants, surtout pas à un tel âge. Effy et Haelya n'avaient peut-être pas eu droit à tant d'humanité mais il était certain que jamais aucun des héritiers directs de Tom Jedusor n'avait eu à subir une telle barbarie. Elle, encore moins que les autres. Les seuls Doloris qu'elle avait reçu avaient pour but de lui apprendre à résister, à ne pas se laisser abattre par la douleur et à pouvoir défier n'importe quel adversaire ... Et il ne l'avait pas fait la joie au coeur, déléguant jusqu'à ne plus avoir d'autres solutions que de lui imposer sa propre violence. D'ailleurs, cela avait été laborieux. Il avait mis tellement longtemps à imaginer quelqu'un d'autre à sa place, à s'inventer une haine suffisante pour la mettre à l'épreuve ... Un instant, elle avait même cru qu'il n'y arriverait jamais, qu'elle resterait médiocre pour l'Eternité ...

Mais il avait fini par le faire. Et, bien que les parents Black ne puissent décemment pas être aussi puissants que Voldemort en personne, Elana n'osait pas imaginer la souffrance qu'avait enduré son camarade. Une telle violence, à seulement sept ans ... Et provoqué par ses propres parents !

- Parce que ce jour là, j'ai parlé à une sang de bourbe qui était dans le voisinage. Et même après que mon père ait tenté de m'expliquer que c'était mal, que je ne devais plus jamais le refaire ... Je m'en suis vanté. J'étais fier de faire enfin quelque chose de différent. Et a mes yeux, ce n'était pas une bêtise que de parler à ma jeune voisine. Si jeune et si insolent, si effronté ...
Il repoussa brusquement la bouteille de whisky et ce n'est qu'à cet instant qu'elle réalisa qu'il en avait pris. Pour les mêmes raisons qu'elle un peu plus tôt. Dans un élan, elle se sentit beaucoup plus proche de Sirius Black que de l'ensemble de son entourage. Même si leurs choix différaients, ils avaient connus des souffrances assez semblables. Suffisamment du moins pour se comprendre mieux que quiconque ...

- Ma mère m'a demandé d'aller au salon et de l'attendre. Son ton ne présageait rien, c'était juste ... une sommation anodine. Elle est arrivé un peu plus tard, mon père sur les talons. Il tenait un fouet dans les mains. D'un sort, ma mère a déchiré le t-shirt que je portais. Et, à coup de Doloris, elle a tracé des marques dans mon dos. Deux, ce jour là. Et lorsqu'elle a eu fini, mon père a chauffé les blessures, avec deux coups de fouet.

Elana lutta pour enrayer ses sentiments. Si elle avait refusé sa compassion, ce n'était certainement pas pour lui imposer la sienne. De toute façon, elle se devait de rester forte et intouchable si elle voulait qu'il croit encore un peu à son masque. Pourtant, la violence du traitement qu'il avait subi lui donnait plutôt envie de pleurer. Comment pouvait-on se montrer aussi cruels ? Envers un enfant, surtout. Son propre enfant. Pour une raison aussi stupide, qui plus est ! C'était inique et monstrueux. Immonde.

- Et ce fut tout. J'étais inconscient alors je suppose que mon père m'a ramené dans ma chambre et m'a laissé étendu sur le ventre, dans mon lit. J'ai mis deux mois à m'en remettre. Ce furent deux mois de sursis. Ensuite ... C'est devenu une habitude.

Leurs regards se croisèrent et elle ne chercha même pas à dissimuler la colère qu'elle ressentait, écho parfait de celle qui brillait dans le regard du Gryffondor. Son père avait beau être un assassin, elle le trouvait bien moins cruel que les parents de son camarade. Préserver ses enfants témoignait d'une part d'humanité. Voldemort était humain. Le plus sanguinaire Mage Noir qu'ai connu le Royaume-Uni était humain ! Et de simples nobles sorciers ne l'étaient pas ...

Dans un mouvement instinctif, Elana déposa un baiser sur la joue de Black. Elle ne pouvait guère faire mieux, s'étant interdit toutes marques de compassion envers les autres, mais tenait néanmoins à lui témoigner de son soutien, de sa sensibilité face à une telle horreur. Et un tel élan de tendresse de sa part valait sûrement tous les discours de Remus, toutes les blagues de James et toutes les étreintes de Lily. Peut-être même plus mais cela aurait été présomptueux de sa part, d'imaginer que l'un de ses gestes avait de l'importance aux yeux du Gryffondor.

Sans lui laisser le temps de réagir, elle se rejetta en arrière, se reculant au maximum contre le dossier de sa chaise et se servit un nouveau verre de whisky. Elle hésita vaguement à en offrir à son camarade mais, jugeant qu'il était suffisamment grand pour se débrouiller, elle finit par reposer la bouteille et avala sa boisson d'une traite. Tant pis si elle finissait ivre.

- J'avais neuf ans. Je venais de les fêter, en réalité.

Le whisky lui tordit les entrailles et elle ne put retenir une légère grimace de souffrance. Le lendemain serait difficile ... Si elle n'était pas malade avant.

- Mes parents étaient en instance de divorce. Ou peut-être que celui avait déjà été prononcé, je ne sais plus ... Quoi qu'il en soit, ma mère avait fini par agir. Pas pour son bien, pour le nôtre, mais c'était déjà un premier pas vers l'indépendance. Je crois.

L'alcool la faisait hésiter, bien entendu, mais il y avait aussi le doute qui avait toujours plané sur cette histoire. Pour obtenir les renseignements qu'elle possédait, Elana avait dû faire preuve de beaucoup d'insistance et, parfois, jouer des poings ou de la baguette. Mais, désormais, elle connaissait les grandes lignes de l'histoire de ses parents ... Et certains détails qu'elle aurait préféré ne jamais envisager.

- Mon frère et mes soeurs avaient préféré rester à Londres, chez les parents de James ou chez notre grand-père maternel. Mais moi, je tenais absolument à retourner en France, à voir la Tour Eiffel sous la neige ... Ce genre de bêtises d'enfant, tu sais ? J'étais niaise, à l'époque ... Ma mère m'a amené avec elle. Et, faute de père Noël, nous avons reçu le loup-garou de Noël. Un peu en avance sur la date mais ils doivent avoir des moeurs différents.

Elle ricana de manière détestable. Forcée. Mais elle refusait de montrer la moindre émotion, la moindre défaillance. Encore moins devant Black qui la connaissait si bien, désormais.

- Tu as déjà vu un homme avec un intestin fumant entre les dents ?

Fermant les yeux, elle refoula de toutes ses forces les images ignobles qui lui revenaient en mémoire. Et attrapa de nouveau la bouteille d'alcool, la portant à ses lèvres pour en avaler les dernières gouttes.

- J'ai fait mieux, encore. Quand il a tendu les bras vers moi, je me suis approchée et je l'ai laissé me porter. J'aurais bien couru mais tout ce sang ... Je ne voulais pas déraper devant l'un des amis de mon père, ça aurait été quelque peu honteux. Et il m'a ramené en Angleterre, au manoir de mon père. J'ai demandé une seconde histoire alors que j'avais promis de m'endormir à la fin de celle du Sorcier au Coeur Velu.

Elle laissa passer un court silence avant de reprendre, les yeux résolumment fixés sur la table.

- Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d''enfants. Fin.

Il pouvait lire dans les yeux violines de la jeune femme des lueurs colériques presque identiques aux siennes, écho d'une colère choquée et légitime qu'il ne comprennait que trop bien. Quelque part, il était soulagé qu'elle ne fasse pas preuve de compassion, de pitié ou d'empathie, mais il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qu'elle ressentait, d'autre que la rage qu'il lisait dans son regard. Mais ce n'était pas une question à poser, il n'était d'ailleurs pas certain de vouloir connaître ses sentiments à ce sujet.

Il l'observait toujours d'un air sombre, ses yeux gris affrontant le regard violacé de son interlocutrice, des images du passé défilant dans sa tête. Les bras croisés, l'expression un peu agressive, il ne bougeait pas. Et lorsque Elana se pencha sur lui pour lui déposer un baiser sur la joue, il ne broncha pas. Il ne perçu pas tout de suite le geste, en réalité. Ce n'est que lorsqu'elle recula vivement pour s'enfoncer dans le fond de sa chaise qu'il analysa la sensation de fraicheur inédite sur sa peau, à l'endroit où elle avait posé ses lèvres. C'était doux, c'était incongru et surtout, ça persistait. Il se sentit d'un seul coup plus calme, plus détendu. Le geste, aussi spontané que soudain, improbable, avait le mérite de le distraire. Les horreurs de son enfance se brouillait dans sa tête et il pu bientôt se concentrer entièrement sur la belle brune, qui s'était resservit un verre de whisky. Il l'observa tandis qu'elle buvait le breuvage ambré d'une traite, se demandant pendant une seconde à combien de verre elle en était. Mais il se dit qu'elle était assez grande et raisonnable pour qu'il lui fasse la leçon. Et de toute manière, il arrêtait l'alcool pour ce soir donc il serait à même de la porter où il faudrait.

- J'avais neuf ans. Je venais de les fêter, en réalité.

Il se redressa doucement, décroisant les bras afin de s'accouder à la table, sans la quitter des yeux. Elle grimaça faiblement, surement à cause de la vitesse à laquelle elle avait ingurgité l'alcool. Il manqua de sourire mais le coeur n'y était pas et il resta impassible, attendant la suite de son histoire. Les yeux violets de la jeune femme se paraient d'étranges lueurs tristes, désabusées et douloureuses mais il ne savait pas trop à quoi les attribuer, se doutant que le Whisky aidait beaucoup à cette ... discussion personnelle. Elana était comme lui, elle gardait beaucoup de chose pour elle, et surtout son passé. Sirius se demanda fugitivement si James savait tout ça, tout ce qu'elle lui disait ce soir ... Mais Elana reprit et il cessa de réfléchir pour l'écouter attentivement.

- Mes parents étaient en instance de divorce. Ou peut-être que celui avait déjà été prononcé, je ne sais plus ... Quoi qu'il en soit, ma mère avait fini par agir. Pas pour son bien, pour le nôtre, mais c'était déjà un premier pas vers l'indépendance. Je crois.

Les hésitations qui perçaient dans sa voix avaient quelque chose d'à la fois incroyable et touchant, attendrissant. Elle commençait à être un peu alcoolisée et, même si elle restait à peu près lucide, ses mots étaient dotés d'accents indiscutablement ivres ... Il eut envie de sourire, encore une fois. Mais il ne le fit pas. A la place, il sorti sa baguette de sa poche et la pointa sur son verre. Murmurant un " aguamenti " léger, il le remplit d'eau et avala tout d'une traite, avant de refaire la même opération deux fois de suite. Puis, il remplit une dernière fois son verre et le laissa tel quel sur la table, attendant que Elana continue. Il ne savait pas qui était ses parents et l'histoire telle qu'elle la lui racontait lui paraissait ... lointaine, insaisissable. Comme s'il assistait à une reconstitution dans laquelle il ne pouvait s'impliquer, faute de connaitre suffisamment l'historique.

- Mon frère et mes soeurs avaient préféré rester à Londres, chez les parents de James ou chez notre grand-père maternel. Mais moi, je tenais absolument à retourner en France, à voir la Tour Eiffel sous la neige ... Ce genre de bêtises d'enfant, tu sais ? J'étais niaise, à l'époque ... Ma mère m'a amené avec elle. Et, faute de père Noël, nous avons reçu le loup-garou de Noël. Un peu en avance sur la date mais ils doivent avoir des moeurs différents.

Mais alors qu'elle laissait échapper un rictus sardonique, très franchement ironique, Sirius s'était raidi. Le loup-garou de Noël ... Il n'y avait qu'une seule personne pouvant correspondre à cette description mordante. Un seul lycanthrope connu exécutait sans état d'âme ce genre de mission meurtrière. Mais le grand Black bloquait sur cette donnée, sachant pertinemment que si Fenrir Greyback était impliqué dans cette histoire c'était que le Lord noir n'était pas loin. Or, il ne faisait pas le rapprochement entre Elana, sa mère et le Lord. Il fronça les sourcils et joua un instant avec son verre, s'amusant à faire tourner l'eau dedans d'un geste souple du poignet. Puis, il le vida lentement, se donnant une contenance tout en cherchant des liens logiques. L'histoire devenait un puzzle et encore une fois, il n'avait pas toutes les pièces pour l'assembler correctement. Mais Elana reprit d'un ton faussement curieux :

- Tu as déjà vu un homme avec un intestin fumant entre les dents ?

Sirius reposa son verre vide sur la table avec un bruit sec et cassant. L'eau avait un petit peu dissipé les brumes de l'alcool et il était en mesure de noter que l'ironie, assortie à ces révélations, était d'un effet particulièrement mauvais. Mais il se calma en comprenant que c'était une manière pour elle de prendre un peu de recul, de ne pas se retrouver embarquée totalement dans ces souvenirs. Elle avait fermé les yeux, violemment, et il préféra ne rien répondre, considérant que la question était purement rhétorique. Mais elle avait déjà rouvert les yeux et s'était emparée de la bouteille de whisky, qu'elle termina sans faire de manière. Il la regarda poser la bouteille et son regard s'attarda un instant sur les doigts qu'elle avait refermé autour du goulot, crispés et tendus. Lorsqu'elle reprit la parole, il leva les yeux sur elle :

- J'ai fait mieux, encore. Quand il a tendu les bras vers moi, je me suis approchée et je l'ai laissé me porter. J'aurais bien couru mais tout ce sang ... Je ne voulais pas déraper devant l'un des amis de mon père, ça aurait été quelque peu honteux. Et il m'a ramené en Angleterre, au manoir de mon père. J'ai demandé une seconde histoire alors que j'avais promis de m'endormir à la fin de celle du Sorcier au Coeur Velu.

Elle ne le regardait pas mais elle tenait toujours la bouteille dans sa main, fermement. Comme si elle s'y raccrochait pour ne pas tomber dans le flot chaotique de son passé tourmenté. Sauf qu'il n'y avait plus de whisky. Juste du vide, sous verre. Il allait parler lorsqu'elle acheva brusquement :

- Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d''enfants. Fin.

Il ne dit rien. Un ange passa, puis un deuxième. Enfin, il tendit la main et entreprit de défaire tout doucement l'étreinte qu'elle maintenait autour de la bouteille. De caresse délicate en prise plutôt tendre, il parvint à récupérer ce qu'il voulait et il esquissa un très léger sourire, à peine perceptible. Il se leva, prit la bouteille dans sa main gauche et posa sa main droite sur l'épaule de la jolie brune, serrant un peu mais pas trop fort. Puis il murmura simplement :

- Je reviens.

Il retira sa main et descendit au rez-de-chaussé. S'approchant du bar, il avisa quelques bouteilles de bière aromatisée à la tequilla, une de ses préférés. Hésitant un peu, il s'approcha et en piqua trois, avant de s'éloigner rapidement et de remonter rejoindre Elana. Il s'installa face à elle et, d'un coup de baguette magique, il décapsula une bière, qu'il poussa vers elle d'un air désinvolte. Il posa les deux autres bouteilles sur le bord de la table, contre le mur. D'un geste souple, il remplit son verre d'eau et se laissa aller dans sa chaise en fixant Elana d'un air songeur. Enfin, il demanda d'une voix douce :

- Si Greyback est le meurtrier de ta mère ... Qui est ton père, Elana ?

La question était directe et sans fioriture, il en avait conscience. Mais il voulait comprendre.

Dans le lourd silence qui suivit sa diatribe, Elana réalisa qu'elle n'avait pas parlé de sa mère depuis longtemps. Des années, en vérité. Elle l'avait évoqué, à l'occasion, mais ne s'était guère attardée sur son sujet et avait fait en sorte d'y penser le moins possible. D'ailleurs, elle n'était même plus capable de se rappeller la dernière fois où elle s'était arrêtée autant de temps sur son souvenir, de son plein gré.

Il y avait bien les cauchemars mais elle refusait de les prendre en compte, les jugeant incontrôlables et donc peu représentatifs. D'ailleurs, ils ne lui montraient jamais les traits de sa mère. Seul un épais voile rouge hantait ses nuits que, de temps à autres, un gargouillis rauque venait déchirer. Et la réveillait immanquablement.

- Je reviens.

Elana n'accorda aucune attention au départ de Black, trop obnubilée par ses réflexions. Greyback avait accompli sa tâche alors qu'elle venait de célèbrer ses neuf ans. Par la suite, il lui avait fallu plusieurs jours avant de prendre réellement conscience de la situation. Sa mère ne reviendrait plus et elle se retrouvait quasiment seule avec un père qu'elle ne reconnaissait plus. Les premières larmes avaient dévalées ses joues mais Tom les avait rapidement épanchées, lui rappelant que le chagrin était le refuge des faibles. Désireuse de contenter son père, Elana avait cessé de paraître perdue et malheureuse. Les pleurs ne l'avaient plus jamais secoué mais les cauchermars, eux, avaient agité ses nuits. Et les agitaient encore.
Cependant, pour cesser de se vautrer dans la douleur, l'enfant qu'elle était alors avait cru bon de refouler le souvenir de la disparue. Ce qui, si elle ne se trompait pas, revenait à huit longues années d'oubli.
Une vague de nausée lui tordit l'estomac. Elle se trouvait indigne.

Une bière fit son apparition dans son champ de vision, la tirant de ses pensées. Relevant la tête, elle constata que Black l'observait d'un air songeur, enfoncé dans sa chaise et un verre d'eau à la main.

- Si Greyback est le meurtrier de ta mère ... Qui est ton père, Elana ?

Pour masquer son trouble, la Serpentard attrapa sa bière et en avala une longue gorgée. Elle n'aurait jamais pensé que la question viendrait aussi tôt et ne savait comment réagir. Esquiver semblait délicat mais répondre lui avait été interdit. D'autant que, si cela n'avait pas été le cas, elle ne l'aurait tout de même pas avoué à Black. Surtout pas après ce qu'il venait de lui confier.

- Quelqu'un que tu n'aimerais pas.

Elle avait parlé d'une voix dure, tentant de lui faire comprendre que le sujet était bien trop risqué pour qu'il veuille s'y engager. Après tout, Voldemort était en partie responsable de la barbarie des parents Black. Et il reprèsentait tout ce que Sirius combattait.
Si elle lui parlait de son père, une dispute ne manquerait pas d'éclater. Hors elle n'était pas en état de lui tenir tête. Et, de toute façon, elle ne voyait pas l'intérêt de se battre à ce sujet. Elle n'avait pas choisi son géniteur, n'avait certainement pas désiré qu'il devient le mage noir le plus sanguinaire du Royaume-Uni ... Tout ce dont elle était responsable constituait en l'amour aveugle qu'elle lui portait. Et elle n'aurait pas admis la moindre critique à ce sujet.

Détournant le regard, Elana découvrit une vielle horloge murale accrochée non loin d'eux. Pas particulièrement belle, elle lui offrait néanmoins un échappatoire inespéré.

- Il est presque minuit, nous devrions rejoindre les deux Barpapas.

Elle se fichait qu'il ne puisse sûrement pas saisir la réfèrence du moment qu'il acceptait la diversion. Pour l'inciter à aller dans ce sens, la Serpentard repoussa sa chaise et se leva. Grimaça aussitôt.
Elle avait beaucoup trop bu. La tête lui tournait et elle se sentait lourde, pataude. Rétablissant son équilibre, elle tâcha d'afficher un air sûr, peu encline à se montrer faible devant Black.