Interlude [ Valerya & Amycus ]

Sourcils froncés et bouche entrouverte par le choc, Valerya se tenait devant une porte et écoutait avec stupéfaction Space Truckin' de Deep Purple, qui hurlait sans vergogne dans ce qui était visiblement l'appartement d'un professeur.

Elle qui avait été persuadée qu'il n'existait qu'Alexy dans le monde sorcier pour oser faire ça, elle était à la fois choquée et amusée. Une irrépressible envie d'ouvrir la porte pour découvrir qui avait de tels gouts musicaux la secoua tout entière alors qu'elle se laissait porter par le riff de guitare et que son cœur prenait le rythme de la phrase de batterie...

Cette pulsion était si irrépressible qu'en fait, elle fit un pas en avant et baissa la poignée, s'étonnant pendant une seconde que la porte ne soit pas verrouillée et passant sa tête blonde dans l'embrasure pour chercher du regard le propriétaire des lieux.

- We're space truckin' round the the stars...

Lui attribuer le don du chant était une grossière erreur. Mais comparer sa voix au grincement d'une craie sur un tableau usé par les idioties de ses contemplateurs l'était également. Il ne chantait pas juste, mais ne chantait pas non plus faux. Dans le juste milieu, dira-t-on. Et ses qualités de chanteur ne l'importait guère, lorsqu'il n'entendait ni la pluie qui battait drue, ni les clac-clac des talons des professeurs arpentant le couloir des professeurs, ni même le son de sa voix qui scandait ces paroles.

- Come on let's go Space Truckin' ...

Il chantait, voilà tout. Des gens chantent sous la douche ; d'autres pendant le jardinage. Lui, c'était après les cours, en début de soirée, pour repousser la revue de l'ennui. De la musique moldue résonnait dans presque toute l'aile du château, et personne ne pouvait l'en empêcher. Parler d'une liberté serait aberrant et insultant, puisqu'il était cloîtré dans cet asile de jeunesse. Parlons donc d'un maigre privilège accordé aux mangemorts à la tête de Poudlard.

D'un bond, il sortit de sa chambre et arriva dans le salon, mimant un solo de guitare de la manière la plus puérile qu'on ait pu voir. C'était mieux que boire, après tout. L'alcool figurait en deuxième position dans le programme de la soirée... alors, en attendant, let's rock.

Elle allait tourner les talons en se rendant compte de l'incorrection de son attitude, et surtout des ennuis qu'elle allait s'attirer si on l'attrapait là, mais elle fut arrêtée dans son mouvement par une vision qui non contente de la faire sourire lui fit arquer un sourcil dubitatif, mais franchement moqueur.

Amycus Carrow, professeur et Mangemort notoire traversait le salon de ses appartements en mimant, en faisant semblant de jouer de la guitare. Et il chantait. Et il ne l'avait pas vu. Elle se retint de rire, ne pouvant s'empêcher d'être presque attendrie par cette vision. Carrow avait la réputation d'être un gros dur... Un gros caïd qui jouait du Air Guitar dans son salon en chantant très fort et pas foncièrement juste.

Tentant sa chance, Valerya tira sa baguette et lança un sort vers le post de radio, faisant changer la chanson alors qu'elle entrait pleinement dans la pièce et laissait la porte se refermer derrière elle.

The Immigrant Song, de Led Zeppelin commença a résonner dans la pièce, tout aussi fort que la première. Elle esquissa un large sourire, c'était une de ses chansons favorites !

A l'apogée de son solo enflammé de Air Guitar, Space Truckin' s'arrêta subitement, le laissant planté sur sa table basse, les genoux fléchis, les doigts grattant d'hypothétiques cordes. Sa radio grésilla quelques instants. Si elle rend l'âme, je la balance par la fenêtre.

- P*tain de machine mold...

Un vent de Led Zeppelin se leva dans le foutoir qu'était l'appartement d'Amycus Carrow. The Immigrant Song. Pour une radio, elle avait bon goût. Soit. On y retourne. Frappant le rythme du pied (sur une pile de paperasses apparemment importantes), il se rebrancha sur pilote automatique et reprit son terrible solo de guitare. Cette fois-ci, il sauta de la table basse au canapé, et, debout sur celui-ci, le fit savamment basculer pour retourner à terre. Un craquement insoupçonné de colonne vertébrale lui arracha un sourire goguenard. J'ai plus 17 ans....

Immergé dans la chanson, son subconscient ne parvint pas à l'en empêcher et, de ses lèvres, s'échappa un bout du "Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaah-Ah !" quand son regard tomba vers l'embrasure de la porte. Dans son délire, il s'attendait à une foule en folie. Mais il ne vit que quelques mèches blondes. Puis une chaussure. Puis un morceau de visage.

- P*tain de machine mold...

A première vue, Carrow était contrarié que sa chanson se termine, mais lorsqu'il reconnu The Immigrant Song, il repartit dans son délire, reprenant son solo imaginaire et s'éclatant comme... comme l'aurait fait Alexy. Sauf qu'ils n'avaient pas le même âge.

Qu'importe, la musique conservait, et Valerya souriait comme une enfant devant ce spectacle alors que le reste de la journée n'avait pas été brillant. Elle attendait avec impatience la particularité de la chanson. Une impatience malsaine, en fait, elle ne savait même pas s'il allait osé... Mais il se croyait seul, il était lancé...

- Aaaaaaaaaaaaaaaaaaah-AH !

Le sourire de la jeune femme s'agrandit encore un peu si c'était possible, mais elle déchanta rapidement quand Amycus Carrow se retourna et la fixa, visiblement... surpris. Et mal à l'aise. Elle se retint de rire, voyant qu'il ne bougeait plus, et décida de pousser la provocation. Elle était déjà entrée chez lui sans autorisation, elle ne pouvait décemment pas s'attirer plus d'ennuis :

- Non mais ne vous gênez pas pour moi, surtout... Continuez, c'est... instructif, et pédagogique !

L'intruse ne semblait pas du tout gênée, et s'empêchait même de rire. En même temps, face à une telle scène... Si Amycus n'avait pas été lui-même, il se serait royalement foutu de lui-même. Mais passons ce côté métaphysique et incohérent de l'esprit de Carrow.

- Non mais ne vous gênez pas pour moi, surtout... Continuez, c'est... instructif, et pédagogique !

Et en plus elle osait se foutre de lui. Bon, il était vrai que sa réputation venait de s'écrouler, et qu'aucune once d'autorité ou de fierté ne pouvait émaner de lui. Dans son dos, le "Aaaaaaaaaaaaaaaaah-Ah" le narguait. La chanson se moquait aussi de lui. Le canapé renversé, sa guitare imaginaire, la radio moldue aussi. Mais il en fallait plus pour désemparer Carrow. Avec les incommensurables idioties qu'il avait faites, il était presque... intouchable.

- N'est-ce pas ! lâcha-t-il avec un sourire d'illuminé. Plus instructif que les conneries que je vous raconte en classe, hein ! Du moins, quand j'ai la patience de parler, ajouta-t-il d’une voix plus basse, que la musique avalait.

The Immigrant Song s'effaçait peu à peu. Un opaque silence vrombit dans ses tympans, mais il fut vite anéanti par un Heaven & Hell, le son toujours aussi fort. Machinalement, il se fonda dans le rythme, comme un gamin imbibé qui, face à une scène enflammée, ne sait plus contrôler ses pulsions musicales.

Alors qu'elle s'était attendue à se faire proprement jeter dehors et peut-être écoper de quelques heures de colle pour insolence, Valerya fut plus que surprise de voir que le jeune professeur souriait, clairement amusé par la situation. La gêne, l'embarras était loin, emportés par les riffs de guitare et les paroles libertaire de ses morceaux d'anthologie du Hard Rock.

- N'est-ce pas ! Plus instructif que les conneries que je vous raconte en classe, hein !

Il marmonna quelqu'un chose d'autre, mais elle n'entendit pas. Et puis, elle n'était pas à même de juger de la qualité des cours de Carrow. Alors que Heaven & Hell, le morceau phare de Black Sabbath, prenait doucement la place de Led Zeppelin, elle vit qu'il continuait son petit défouloir, qu'il ne cessait pas ses imitations, et guidée par Merlin-sait-quelle-force, la jeune femme avança un peu dans les appartements.

Haussant le ton pour couvrir la musique qui hurlait, elle déclara :

- Pour ce que j'écoute de vos cours...

Elle retint un éclat de rire quand le break de la chanson se fit entendre, ne pouvant résister et se mettant à chanter, bougeant en même temps et faisant voler autours d'elle ses cheveux blonds, comme un halo doré. Elle leva les bras et se mit à tourner en chantant, se fichant pas mal des conséquences de ce qu'elle était entrain de faire. " On a qu'une vie, pensa-t-elle, et la musique, c'est une folie qu'il faut faire exister "

Etonnamment, elle ne s'effaça pas des appartements de Carrow et avança même dans la pièce. Pour couvrir le son de la musique qui vrillait l'air, la petite blonde cria :

- Pour ce que j'écoute de vos cours...

Elle marquait un point. Entre les Doloris et les Impero, il était inutile d'écouter quoi que ce soit. Il était un prof inintéressant, qui ne prenait même pas la peine de corriger les longs et complexes devoirs qu'il donnait à ses subalternes. De plus... For every moment of truth, there's confusion in life ... Battant la mesure du pied, il entendit le break de la chanson qui manqua de faire éclater la fille de rire, mais elle se contenta de se mettre à chanter et à danser, aussi immergée dans la musique que pouvait l’être Carrow. Une gamine sorcière qui connaissait aussi bien du Black Sabbath ? J’savais pas que ça existait…

- Its heaven and hell, oh no!

Il n’eut même pas l’idée de darder sur elle un regard outré. Music is life. De la manière aussi aliéné que lorsqu’il était seul, il se remit à chanter et, saisissant le manche de sa guitare inexistante, il se remit à jouer dans le vent, se jetant à genoux à la fin de la chanson, pareil à une Rock Star à la fin d’un morceau parfaitement joué. Il entendit à peine le changement de chanson, pensant à se sortir une bière. Voire deux.

Il chantait, il avait décidé de ne pas la mettre dehors et de continuer son petit solo. Tant mieux, elle n'avait aucune envie de partir, la musique était trop bonne, et hormis Alexy, personne n'écoutait ce genre de chose dans le château. Et puis, son frère ne se lâchait jamais de la sorte, et elle considérait ça comme beaucoup trop galvanisant pour casser le moment.

Alors elle se laissa emporter, et quand la musique changea, elle eut à peine le temps de voir le jeune professeur se jeter à genoux sur le parquet de ses appartements, glissant un peu et terminant le morceau, que déjà, Welcome to the Jungle, des Guns & Roses, prenait place dans la pièce.

Ni une ni deux, elle exulta, attrapant sa baguette et s'en servant comme si c'était un micro. Les moldues y allaient à la brosse à cheveux, mais c'était réellement plus drôle avec une baguette magique, car avec l'enthousiasme, des sorts mineurs sortaient tout seul, lançant des petites étincelles... des effets de scène, pensa-t-elle. Chantant toujours, suivant la voix improbable d'Axel Rose, elle avança jusqu'au canapé renversé et monta dessus, sautant dans le rembourrage et atterrissant en balançant ses hanches, dansant d'une manière peut-être un peu trop subjective. Oh, peu importe, cela irait sur le compte de la musique.

- Welcome to the Jungle, we've got fun and games...

Elle retrouva un peu de lucidité, évaluant ses chances, et décida d'y aller au culot...

- En parlant d'amusement, ça manque un peu de spiritueux !

Elle se mordit les lèvres en affichant un sourire angélique alors qu'elle dansait toujours, ses hanches suivant le rythme et ses cheveux volant gracieusement autours d'elle. Jouer les groupies pour avoir ce qu'elle désirait, quoi de mieux ?

A fond dans son morceau de Air Guitar sur du Guns & Roses, il vit à peine la fille se mettre debout sur son canapé, baguette-micro parée, scandant Welcome to the Jungle, dans une danse endiablée. Lui aussi chantait ; certainement moins fort que la demoiselle. Même en criant, il semblait impossible de couvrir la musique. Balançant les hanches comme un métronome, elle finit par déplorer l'absence de "spiritueux", comme elle disait.
Comme tu veux, ma belle...

Toujours en remuant comme un damné, il se dirigea vers un meuble hideux et en sortit deux bières fraiches... Il revint dans le centre la pièce et, après un tour rapide sur lui-même, lança une des deux canettes à la fille. Qui qu'elle soit, d'ailleurs. Son nom, son âge, sa maison... Strictement aucune idée. Peu importait.
Les gens qui aiment la musique méritent tous de la bière.

Il ouvrit sa canette, en but plusieurs goulées et se remit à bouger, comme coincé dans un pogot où ils n'étaient que deux. Un concert privé de radio moldue, dira-t-on. Même s'il avait l'habitude de ce genre de soirée, où, seul, il se lâchait sur ses morceaux préférés, à deux, il s'éclatait encore plus. Comme un vrai gamin.
Plus on est de fous, plus on boit... et plus on rit.

Il ne se fit pas prier pour lui donner ce qu'elle voulait, et bientôt, elle se retrouva avec une canette dans les mains. Merlin seul savait comment elle avait réussi à l'attraper, d'ailleurs, compte tenu de ses mouvements et du lancé très approximatif de Carrow. Peu importe, elle l'avait dans les mains, et contre ses paumes, l'inox frais semblait totalement glacé. Tendant les mains pour éviter de se faire asperger, elle ouvrit la canette et en bu ensuite une bonne quantité. Bière brune, légèrement amère, un peu trop forte à son gout, mais elle s'en fichait, se souvenant des cuites à la Vodka.

Elle descendit du canapé, rangeant sa baguette et se contentant de sa bière. Elle en avait bu plus de la moitié, si bien que lorsqu'elle sautillait en rythme, elle y parvenait sans renverser de sa boisson. Un bras en l'air, secouant sa tête et faisant voler sa masse de cheveux blonds, elle prenait sporadiquement des petites gorgées de bière, et elle comprit rapidement que même si le taux d'alcool là dedans était faible, son état déjà galvanisé lui retirait toutes inhibitions.

La musique changea, passant à un des morceaux les plus classiques : Back in Black d'AC/DC. Elle exulta et se mit à chanter en se plantant devant Carrow, le pointant du doigt et chantant dans sa canette, comme si elle lui dédiait la chanson.

Ivre? Non. Hors de contrôle? Quel euphémisme.

Il fallut une gorgée supplémentaire à Carrow pour finir sa bière, et rapidement, la canette vola dans l'appartement. Remplacée par une autre. Qu'il ouvrit sans précaution. Elle avait vu le carnage arrivé, mais elle s'en foutait bien. La pression fit que la bière les éclaboussa tout les deux, et Valerya fit mine d'être outrée, même si cela l'amusait plus qu'autre chose.

Il rentra soudain dans son petit jeu, dansant lui aussi, face à elle, sa bière à la main, chantant à tue-tête les paroles de Back in Black. C'était peut-être une impression, mais il sembla à l'adolescente que la musique s'élevait de plus en plus fort dans la pièce, annihilant le reste du monde. Elle était dans son délire, elle se moquait comme de son premier vif d'or attrapé du reste. Elle voulait danser, se défouler, se sortir Lucius de la tête.

Alors elle continua à se tortiller, chantant toujours aussi fort, et termina finalement sa bière. Elle imita son professeur, jetant la canette vide sur le sol. Dans le vacarme des guitares, on n'entendit même pas le fracas métallique de la petite boite cylindrique contre le sol de pierre.

La chanson changea, et elle manqua de hurler comme une groupie. I Love Rock'n'Roll, de Joan Jett.

- Oh... Mon... Dieu...

Elle manqua d'éclater de rire, se mettant à danser d'une manière beaucoup plus sensuelle, le rythme de la chanson étant tellement plus lourd et instinctif, tellement plus adapté à ce qu'on bouge dessus. Autrement que dans un pogo, bien sûr. D'ailleurs, bientôt, elle sentit les effets de la musique sur elle. Elle était ailleurs, elle voulait faire n'importe quoi, elle voulait s'amuser comme une folle

- I love rock'n'roll, so put another dime in the judebox baby. I love rock'n'roll so come and take your time and dance with me !

Pour appuyer ses dires, elle s'approcha de Carrow, collant leur bassin alors qu'elle l'attrapait par les pans de la chemise grise recouvrant le t-shirt noir qu'il portait. Elle avait les yeux fermés, elle chantait. Petite conne de quinze ans.