It's all about us. [Light&Opale.]

Après que Leighton soit définitivement partie, Opale avait renoncé à se remettre à la quête d'un roman. La bibliothèque n'était pas un endroit si paisible que ça, elle s'était trompée. Elle avait éprouvé plus de sentiments en ces quelques minutes qu'en toute sa vie. Cette rencontre avait fait naitre des tas de questions, toutes plus intrigantes les unes que les autres.

Pourquoi ne pas cesser de se replier sur soi-même alors qu'on se sait capable d'être ouverte? A quoi bon craindre tout contact avec un autre? Comment cette Gryffondor avait-elle fait pour la déstabiliser ainsi?

Opale ne connaissait aucune de ces réponses. Bien qu'elle ne pouvait s'empêcher d'y penser. La tête ailleurs, elle quitta le lieu qui lui causait tant de problème. Elle marchait lentement, espérant ainsi ralentir le débit d'interrogations qui lui surchargeaient le crâne. Traînant d'une façon exagérée, elle bifurqua vers la gauche.

Une silhouette reconnaissable entre mille fit son apparition. Opale se stoppa, prise de panique. Elle allait finir par croire que l'infortune la suivait partout, où qu'elle aille. Leighton ne l'avait pas encore remarquée, mais elle sembla troublée par l'arrêt brutal de la Serpentard. Alors seulement elle leva les yeux vers elle. Opale était tétanisée, pourtant elle tentait de maintenir un air décontracté.

- Il faut croire que nous n'étions pas prêtes à nous quitter. dit Opale d'un ton un peu mélancolique.

Sa camarade sourit, mais on devinait aisément qu'il s'agissait d'un sourire forcé. Mais la Serpentard s'en souciait peu.

Le regard sincère de Leighton rencontre celui d'Opale. Cette dernière perdit tous ses moyens, elle savait pertinemment qu'il ne lui servirait à rien de lutter plus longtemps contre cette dérision intense. Qu'elle accepte de reconnaître qu'elle éprouvait un tantinet de sympathie envers cette fille ou non, elle était ne pouvait échapper à son sort.

- C'est un drôle de truc, le hasard.

En effet. Même si d'un point de vue personnel, elle n'y croyait pas. Pour elle, cette re-croisade n'était aucunement due à ce phénomène. Elle avait tellement été absorbée par le comportement de cette étrangère -qui ne l'était plus tant que ça- qu'elle avait anticipé leurs retrouvailles peu après leur séparation. Le destin semblait vouloir s'en prendre à elle, lui faire croire qu'elle n'était pas aussi intouchable qu'elle le croyait.

Mettant ses conclusions de côté, elle se concentra à nouveau sur l'objet de son anxiété. Elle eut, pendant quelques secondes, l'impression de se retrouver face à la personnification de la tentation. Elle savait qu'une amitié était impossible entre elles, mais elle était incapable de ne pas espérer.

- Merlin a sans doute une bonne raison de nous faire rencontrer à nouveau. dit-elle. Il souhaite peut-être que nous fassions plus ample connaissance.

La mine de sa camarade s'obscurcit. Son expression se fit plus dure, limite repoussante. Opale s'en étonna.

- Ce n'est qu'une supposition. ajouta-t-elle.

Leighton se calma. Ses traits prirent une forme anodine, son regard s'adoucit et sur ses lèvres, un sourire se posa. Mais Opale constata bizarrement que son esprit semblait flotter à des kilomètres de souvenirs plus loin. Dans ses yeux transparaissait un ait absent. Ce n'était pas la Serpentard qu'elle voyait, c'était certainement une personne qui lui ressemblait.

Opale avait bien senti qu'il se passait quelque chose qui la dépassait. Tant d'émotions se bousculaient en elle, c'en devenait ingérable. Une peur tenace l'avait envahie, la prévenant qu'il fallait qu'elle garde ses distances avec Leighton. Pourtant, la Serpentard ressentait un besoin profond de mieux la connaître. A l'évidence, cette envie n'était pas réciproque, Opale l'avait deviné à l'attitude peu charmante de sa camarade.

- Je ne suis pas vraiment fréquentable.

A cette remarque, Opale tiqua. Un sourire ironique se forma sur ses lèvres, lui donnant un air moqueur qui n'était destiné qu'à elle-même. Décidément, le hasard avait bien fait de les faire se croiser. Elles possédaient plus de points communs que les apparences n'en laissaient entendre.

Même si elle savait que tout ça était tout à fait déraisonnable, Opale ne put s'empêcher d'abandonner sa mine peu encourageante pour lui sourire. Cette discussion la poussait à être aimable, comme si elle tentait de se prouver que la misérable délaissée qu'elle avait toujours été pouvait s'intéresser aux autres. Ce qui, théoriquement, était impossible. Le simple fait de porter un peu d'attention à une inconnue ne signifiait pas qu'elle avait changé, qu'elle était devenue plus ouverte. Ça, c'était une certitude.

Pour elle, l'amitié était une preuve de faiblesse. Quelqu'un qui devait dépendre des autres pour se sentir heureux n'était pas indépendant. C'était par crainte de perdre sa liberté que la blonde se refusait à quitter sa solitude, sa plus fidèle amie. Néanmoins, elle ne pouvait se résoudre à ignorer éternellement l'amitié -en était-ce réellement une?- qui naissait entre Leighton et elle.

- Entre associables nous devrions plutôt nous entendre. dit-elle.

Opale craignait à nouveau que la Gryffondor s'échappe en courant, comme elle l'avait déjà fait à la bibliothèque. Inconsciemment, elle s'approcha et prit place à sa gauche, de manière à lui faire comprendre qu'elle ne tenait pas à ce que la discussion se termine maintenant. Elle guetta la réaction de celle qu'elle définissait à présent comme une "connaissance".

L'attente était insupportable. Jamais auparavant elle n'avait autant appréhendé une réponse. C'était comme si un incendie faisait rage dans son coeur, insensible aux flammes depuis trop longtemps, lui brulant la poitrine à chaque fois qu'elle tentait de mettre fin à cette entrevue. Elle savait que seule Leighton pouvait décider de la réduire en cendres ou de faire taire le feu. Tiens, voilà qu'elle s'adonnait aux métaphores…

- Il y a une antithèse dans ta phrase.

Ces mots tintèrent aux oreilles de la Serpentard, donnant naissance à une dose d'espoir dont Opale ignorait la raison. Pourquoi donc tenait-elle tellement à être gentille avec cette fille ! Elle avait un problème, un très gros problème. Comment pourrait-elle deviner ce qui adviendrait de sa personne si elle se laissait embarquer dans de pareilles aventures?

L'amitié n'avait jamais fait partie de sa vie, tout comme l'amour. La blonde ignorait quelles étaient les conséquences d'un attachement plus ou moins fort, et elle redoutait de se voir anéantie en cas de séparation. Le souci principal, c'était la douleur. Elle ne voulait pas avoir à souffrir si les choses devaient mal se terminer. Oui, c'était lâche. Elle voulait l'ivresse sans devoir subir le choc brutal qui y aboutissait. Selon ses principes, on ne pouvait dissocier les deux, alors elle ne prenait rien. Mais là, elle était prête à courir le risque, maintenant, elle en était certaine.

- Pas si on considère que ces deux associables puissent délaisser leur antipathie coutumière quand elles se parlent. dit-elle distinctement.

C'était l'espoir qui parlait, elle le savait. Jamais la Gordon téméraire qu'elle était n'aurait prononcé de telles paroles qui la faisaient passer pour une faible. Il fallait croire que son bouclier anti-sentiments réels connaissait quelques failles. Sa réserve lui avait toujours permis de ne pas se livrer, hors aujourd'hui, elle trouvait absurde de s'être aussi longtemps renfermée sur elle-même.

- Est-ce que … , hésita-t-elle, est-ce que je suis la seule à ressentir ça? A vouloir être quelqu'un d'autre pour pouvoir parler avec toi sans risquer de te blesser? Et devenir… faible? demanda-t-elle tout bas.

Elle regretta d'avoir fait part de ses sentiments à la Gryffondor. Leighton ne devait d'ailleurs pas savoir de quoi elle voulait parler. Puisqu'au fond, c'était elle, la seule cinglée irrécupérable qui désirait plus que tout se métamorphoser en papillon inoffensif. Bien qu'elle sache d'avance que cela était impossible.

Opale avait honte. Maintenant, sa camarade devait la penser psychopathe, et elle avait raison de le croire. Celle-ci méritait déjà une palme d'or de l'avoir supportée jusqu'ici, alors de là à ce que ça aille plus loin, la Serpentard était sceptique.

- Non.

Un soupir de soulagement s'échappa de la bouche de la Serpentard. Ainsi donc cette autre aussi était écrasée par une telle sensation. Sceptique, elle fronça les sourcils. Etait-ce possible que quelqu'un puisse lire, voir même comprendre la difficulté qu'elle avait à accepter ce mal entrant? Tout était si compliqué, si nébuleux, sans doute était-ce pour cela que la verte et argent avait perdu son inflexibilité, laissée au détour d'une allée dans cette bibliothèque. Certainement qu'encore une fois, elle avait mal compris le sens de ce simple mot. Un non pouvait vouloir dire beaucoup de choses contradictoires.

Leighton était la cause de tous ces doutes, de ce rébellion. La blonde aurait du lui en vouloir, lui faire payer ce qu'elle avait déclenché en elle, pourtant elle n'y parvenait pas. Aucun mot, aucune insulte n'arrivait à sortir de sa gorge. Pas même la colère n'était là pour témoigner de son courroux infondé. Si elle devait choisir un coupable, son choix s'arrêterait sur sa curiosité. Car c'était elle qui avait voulu qu'Opale s'attarde sur la Gryffondor. Et voilà où cela l'avait emmenée, en territoire inconnu.

- J'aurais aussi souhaité être quelqu'un d'autre pour être capable de nouer des liens sans avoir peur que tout s'effondre.

Finalement, elle s'était peut-être avancée trop vite. Absorbée par ces mots, Opale émit un cri de stupeur étouffé. Toute trace de doute disparu, c'était encore plus étrange puisqu'elle n'avait pas pour habitude de faire confiance aux gens. Elle était toujours la première à remettre leur parole en doute. Mais là, c'était différent. Elle savait que Leighton lui était familière, en quelques sortes, puisque leur caractère s'étaient avérés proches depuis le début. Et la blonde se connaissait assez bien pour savoir à quel point il était difficile pour une isolée de se confier.

Encouragée d'en déduire qu'elle n'était plus la seule à faire des efforts, elle fut heureuse d'être entrée dans le vif du sujet. Cette décision d'attaquer directement la plaie ne la surprenait pas, c'était une chose qu'elle faisait souvent. N'aimant pas laisser de place au mystère, elle préférait la franchise. Même si parfois, le fait d'être franc et de parler de ce qui dérange sans passer par quatre chemins pouvait faire très mal. Mais Opale était comme ça, elle n'avait pas de porte arrière et vidait son sac sans hésiter. Sauf quand il s'agissait de sujet où elle était considérablement impliquée bien sûr.

- Je te propose un truc : on met notre morosité de côté pour tenter de devenir deux solitaires invivables, qui s'entendent bien puisque fort semblables... Si ça casse, on aura au moins le mérite d'avoir osé essayer. Et puis si ça marche, ça pourrait être une bonne chose, qui sait? déclara la Serpentard avec un enthousiasme réservé. T'en penses quoi?

Opale cherchait désormais à croiser le regard de son interlocutrice. Quelle drôle de chose, l'amabilité...

Opale était méconnaissable. Son humeur si imprévisible la surprenait à rester stable, constamment joyeuse depuis qu'elle savait ce qu'elle voulait. Sa décision avait été difficile à prendre, le risque encouru n'était pas des moindres. Elle risquait de trop se plaire à jouer les adorables. Mais elle gardait la tête froide, Serpentard ne l'avait pas accueillie pour rien. La ruse et l'intelligence pourraient toujours lui procurer un échappatoire au cas où elle perdrait sa véritable nature. Ce qui était impensable, elle ne changerait pas.

- D'accord.

La réponse ne l'étonna pas. Elle avait cru comprendre que sa sensation de "bienêtre" était partagée. Leur désir de nouveauté se reflétait à travers leurs actes ou leurs paroles. Dans un sens, la blonde était ravie de savoir que peu importait l'issue de cette relation, elle ne serait pas la seule à être impliquée. Si elle tombait l'autre tomberait aussi, c'était une pensée égoïste mais réconfortante.

- Apprends moi qui tu es, alors.

Suite à cette requête presque ordonnée par la Gryffondor, Opale devint indécise. Par quoi commençait-on lorsqu'on parlait de soi à une potentielle connaissance? Elle l'ignorait. Il n'existait aucun guide de parcours pour devenir proche de quelqu'un qu'elle pourrait emprunté. Faire connaissance était une action tellement banale pour les gens de la société active que personne n'avait pensé à en créer un. Pourtant, ça aurait pu faire fureur dans le monde des misanthropes.

Elle qui ne s'était jamais retrouvée face à une telle situation se mit à chercher ce qu'elle pouvait répondre à Leighton. Parler d'elle l'horripilait d'ordinaire, mais Opale avait cessé de croire que cet épisode de sa vie était aussi simplet que les précédents. Si par mégarde elle dévoilait un aspect de sa personnalité trop hostile pour être supportable, sa camarade fuirait. Du moins, c'était ce qu'elle serait sensée faire.

Alors, comme toute autre adolescente normale, elle commencerait par raconter ce que Leighton pourrait avaler sans risquer de s'étrangler. D'abord ses plus petits défauts, ceux qui ne définissaient qui elle était que de manière basique, sans entrer dans les détails. Ensuite, si leur lien persistait, elle pourrait se confier un peu plus en profondeur, en restant néanmoins toujours très proche de la surface. Elle ne souhaitait pas qu'on puisse la déchiffrer. Elle aimait se sentir en sécurité dans son insolence, à l'abri des questions indiscrètes ou trop personnelles.

Une fois son plan d'approche mis au point, elle était parée à entreprendre sa première présentation correcte. Les jambes lourdes à force de rester sur place, elle commença à marcher droit devant elle. Leighton lui emboita le pas et elles progressèrent dans le couloir pratiquement désert, laissant une distance prudente entre elles. Comme si le fait d'être à deux les gênaient. Sans doute était-ce parce qu'elles n'avaient pas l'habitude de marcher au même rythme qu'une autre personne, qui plus est, côte-à-côte.

- Je n'aime pas parler de moi, ni parler en général. J'ai toujours été solitaire, probablement à cause de mon éternelle empathie. déduisit-elle.

Elle marqua un temps d'arrêt, laissant sa compagne imprimer ces informations. Ce n'était rien, elle n'avait fait que dire ce que la Gryffondor aurait pu conclure elle-même. Mais c'était déjà un grand pas en avant, elle avait franchit le cap. Le plus dur restait encore à faire, ce n'était qu'un début. Se détacher de ses principes n'était pas une mince affaire, pourtant elle réussissait, ce qui était plutôt encourageant.

- Tu dois avoir remarqué que j'ai du répondant, que je me mets facilement en colère aussi. Mon humeur est instable, je suis imprévisible. avoua-t-elle sans honte.

Encore une fois, elle stoppa. Ne voulant en dire ni trop ni trop peu, elle jaugea le poids des renseignements qu'elle avait fournis jusque là. Rien de bien primordial, juste quelques revendications qu'elle jugeait nécessaire de connaître à son égard. Elle préférait directement la prévenir de ses principaux désavantages. Au moins, ça avait le mérite d'être clair. Peut-être même trop.

Mais, jetant un vif coup d'oeil à Leighton, elle constata qu'elle ne paraissait pas choquée. Pouvait-elle qualifier ça comme un bon signe? Elle allait dire que oui. C'était une façon de se prouver qu'elle faisait des progrès. Une voix ironique résonna dans sa tête, lui demandant si elle souhaitait qu'on l'applaudisse parce que pour la première fois de toute son existence de peste, elle n'avait pas traumatisé quelqu'un. La Serpentard chassa ce sarcasme, aujourd'hui, elle n'avait pas une minute à s'accorder pour ironiser.

- Si tu me supportes encore d'ici quelques temps, je t'en dirai sûrement un peu plus. enchaîna-t-elle. A ton tour.

Opale était satisfaite d'elle-même. En commençant cet interrogatoire, elle ignorait tout de ses capacités en matière de présentation. Au final, il s'est avéré qu'elle n'était pas si nulle qu'elle le croyait. Certes, ce n'était pas comme si elle avait fait ça toute sa vie, mais l'effort y était. Comme quoi, même à dix-sept ans elle arrivait encore à se surprendre. Elle avait hâte de voir si Leighton parviendrait à faire de même.

Opale se demandait si sa camarade allait être plus réservée qu'elle. Au passage, elle se questionna sur ce qu'elle allait apprendre en l'écoutant. Ce nouvel intérêt pour un être humain la terrifiait et l'émerveillait en même temps. N'ayant jamais bénéficié d'une discussion aussi ouverte et personnelle que celle-ci, elle redoutait d'être passée pour ridicule. Heureusement, le fait de découvrir la personnalité de quelqu'un qu'elle ne détestait pas équilibrait la balance.

- Il suffit parfois qu'on me contredise pour enclencher ma colère. Je suis d'une nature agressive, et elle prend rapidement le dessus.

Ça, la blonde l'avait bien compris à la bibliothèque. En repensant à cette scène, elle rit. Avec du recul, leur rencontre avait des airs humoristiques. La répartie dont avait fait preuve la jeune femme l'avait stupéfiée, mais pas déconfite. Cela resterait dans sa mémoire un bon moment avant qu'elle ne l'oublie.

Leur irascibilité ne devrait pas leur poser de problèmes, ce n'était pas ingérable. La Serpentard aurait tout le loisir de vérifier si sa thèse était plausible. Pour elle, l'accumulation de rage s'effondrerait lorsqu'elles auraient atteint un taux relativement élevé d'insolence. Certes, ça ne devait pas être aussi simple dans la réalité.

- J'aime garder le contrôle en toutes circonstances. Quand je ne l'ai pas, ce qui est tout de même rare, il faut se méfier de mes réactions, elles peuvent être aux antipodes de ce qu'on croit savoir de moi.

Rare. Autrefois, ce mot apportait sérénité à la verte et argent. Mais aujourd'hui, après Leighton et d'autres qu'elle avait rencontré, il ne lui laissait plus qu'une grotesque sensation dérisoire. Comme si, à chaque fois qu'elle avait utilisé ce mot, autrefois qualificatif sans hésitation, elle aurait du se douter qu'un jour il ne voudrait plus signifier la même chose. Avant il désignait ses relations courtoises, son bonheur ou la compagnie de sa tante. Désormais, elle était tentée d'admettre qu'il convenait à décrire la persistance de son caractère indomptable, de sa rigidité et de son entêtement à vouloir appliquer les règles qu'elle s'était toujours jurée de suivre. Qu'était-elle en train de devenir, reflet pâlot de sa véritable personnalité…

- Tu as toujours été seule, même… avant? demanda Opale.

Cette question lui trottait en tête depuis qu'elle avait surpris la réaction de la Gryffondor lorsqu'elle s'était elle-même qualifiée d'éternelle solitaire. Elle voulait savoir la raison qui avait fait que Leighton avait semblé pensive.

La réponse se fit attendre. Si bien que la Serpentard se demandait si elle ne l'avait pas rêvé, si elle l'avait prononcée à voix haute. Tournant la tête vers Leighton, elle constata qu'elle réfléchissait. Ce qui lui confirma qu'elle avait entendu. Peut-être qu'elle ne voulait pas répondre, tout simplement. C'était un sujet délicat, personnel qui demandait sans doute beaucoup d'effort à la jeune femme. Au bout d'un temps d'attente relativement long, elle se décida enfin à parler.

- Oui. Mais à des degrés différents.

Opale ne saisissait pas le sens de cette phrase. A moins qu'on puisse être encore plus seule que seule, elle ne voyait pas où sa camarade voulait en venir. Certes, on peut souffrir de son isolement plus à certains moments qu'à d'autres. Mais était-ce vraiment ça que tentait de lui faire comprendre la rouge et or? Elle était sceptique.

- Pour des raisons différentes plutôt.

Voilà qui était tout de suite plus parlant. Sauf qu'elle n'avait pas cité ces raisons en questions, Opale ne s'attendait d'ailleurs pas à ce qu'elle le fasse maintenant. Sa vie ne la regardait pas, et inversement. Néanmoins, elle casa cette information dans un coin de sa tête pour y repenser plus tard. C'était une pièce en plus à ajouter au puzzle de Leighton Farber. Celui ne ressemblait pas encore à grand chose, vu le nombre de pièces manquantes. On ne pouvait pas dire que ça la décourageait, elle n'espérait déjà pas être devenue aussi ouverte envers quelqu'un et réciproquement.

- Tu te plais, là dedans ?

Visiblement, Leighton ne désirait pas s'étendre plus longtemps sur le sujet, comme l'avait deviné Opale. La conversation se reportait à nouveau sur elle, comme quand elle avait dû parler de ses qualités, aussi peu nombreuses qu'elle soient, et de ses défauts après que sa camarde ait accepté le marché. Excepté que cette fois-ci, il ne fallait pas entrer dans de grandes réflexions pour donner une réponse. Celle-ci était déjà toute prête, à force d'avoir été dite et redite des milliers de fois dans sa tête, lorsqu'elle doutait de ses capacités à rester perpétuellement à l'écart. Mais Opale la modifia quelque peu, car depuis plusieurs jours, elle n'était plus tout à fait identique. Cela ne voulait évidemment pas signifier qu'elle ne se plaisait plus dans sa solitude, juste… un peu moins qu'avant.

- Oui et non.

Ce n'était pas véritablement une réponse, elle en était consciente. Elle cherchait juste une manière convenable d'expliquer le pourquoi sans trop devoir parler.

- Ça m'évite de m'attacher aux gens.

Et de un, s'encouragea-t-elle. Pourquoi avait-elle soudainement autant de mal à s'exprimer? Les effets secondaires, probablement. Sa raison lui hurlait de se taire, lui arrachant les tympans. Elle en avait déjà trop dit, elle ne savait pas si elle serait capable de tenir le coup plus longtemps sans craquer. Si elle craquait, elle craignait de se remettre à s'acharner de façon malsaine sur la Gryffondor. Lui balancer tout ce qu'elle avait sur son coeur de pierre n'était pas forcément la meilleure solution pour lui montrer qu'elle faisait des efforts. Elle se reprit ; elle tiendrait bon.

- Mais en même temps, ça nous force à tout garder pour soi. Et il y a des choses que j'aimerais ne plus avoir à porter…

Stop. C'en était assez ainsi. Il fallait repartir sur un sujet plus léger. Malheureusement, rien ne lui venait à l'esprit. Elle n'arrivait pas à se défaire des souvenirs qui envahissaient son crâne, lentement, douloureusement. Ses parents, leurs méthodes d'éducation, leurs actes, leurs délits. Tout lui revenait et se répétait en boucle. Prise de nausée, elle s'arrêta. Elle n'osait pas regarder Leighton, de peur qu'en un regard, elle comprenne, même si cela était impossible. Personne ne pouvait comprendre, personne ne devait savoir.

Un dernier souvenir acheva de la torturer, l'enfant. Celui-là même qu'elle avait entendu geindre pendant plusieurs mois, maltraité à souhait. Celui qu'elle avait abandonné aux mains de ses tortionnaires de parents en quittant la maison, en fuyant chez sa tante. C'en fut trop. Elle prit appuis contre le mur et se laissa tomber. Glissant au sol conduite par la paroi, elle finit par se retrouver accroupie par terre. Elle sentait le regard de la Gryffondor posé sur elle, mais elle n'osa pas l'affronter. Affaiblie par la ribambelle d'émotions qui s'étaient emparés d'elle, elle lutta de toutes ses forces pour ne pas se mettre à trembler. Quel tableau pathétique devait-elle faire.

Leighton s'était adossée au mur, proche d'elle. C'était bien ainsi. Elle ne voulait pas qu'on la materne, encore moins qu'on soit conciliante. La Gryffondor semblait l'avoir bien compris, ce qui ne la surprit pas. Elle commençait à se faire à l'idée que cette fille n'était pas comme les autres, mais comme elle. Elle mettait une certaine confiance en ses actes, car elle savait qu'elle ne risquait pas de l'agacer en se montrant faussement réconfortante.

- Si on veut les bons côtés, il faut être prêt à payer le prix pour les mauvais.

C'était justement ça le problème. Opale n'était et ne serait jamais prête. De plus, accepter d'aimer, c'était accepter de ne pas l'être également. Encore un côté néfaste que possédaient les gens stupides, ceux qui batifolaient main dans la main et coulaient ensemble des jours heureux passés à se bécoter. Tout à fait répugnant, songea-t-elle. Mais, quand elle avait le malheur de croiser un couple sur sa route, la jalousie la faisait prisonnière. Ne sachant pas trop ce qu'elle voyait en eux qui pourrait provoquer pareille réaction, elle se contentait de poursuivre son chemin, blême.

- Il y a toujours des risques. Il faut que tu saches si cela vaut la peine de les prendre.

Décidément, la Gryffondor savait frapper aux endroits cibles. Elle abordait le centre du sujet, sans se soucier d'utiliser des mots doux. Ce qui convenait parfaitement à la blonde. Ça lui permettait de mieux se concentrer sur les grandes questions qui taraudaient son esprit. Opale fit le rapprochement entre la dernière phrase qu'avait dite sa camarade et leur situation. Elle remettait leur relation en doutes. Était-ce une idée sans danger, comme elles le croyaient au départ, ou avaient-elles fait une grossière erreur en s'associant? Bornée, la Serpentard s'entêtait à penser qu'elles ne courraient aucun risque, que tout ça ne les mènerait pas à leur perte, la perte d'elles-mêmes. Mais était-ce la bonne réponse pour autant… Le temps le leur dirait. A moins qu'Opale ne mette les choses au clair tout de suite.

Son malaise déjà derrière elle, elle leva la tête pour plonger dans le regard de la Gryffondor.

- Est-ce que tu penses qu'on prend un risque en s'unissant?

La réponse qu'elle attendait n'était pas très glorieuse. Elle sentait venir l'approbation, ce qui renforcerait ses doutes. Mais elle préférait ne pas s'imaginer ce qu'en pensait Leighton, ça achèverait certainement de l'abattre.

Toujours accroupie, Opale référait attendre la réponse de sa partenaire avant de se relever. Non pas qu'elle craignait de s'en voir bouleversée, juste parce qu'elle avait peur que les mots prononcés ne réveillent à nouveaux des souvenirs tus depuis des années. Au fond, chaque parole dite par la Gryffondor lui faisait un mal de chien. Non pas à cause de leur sens, le simple fait de partager ses sentiments verbalement avec quelqu'un la traumatisait. Ce n'était en rien la faute de Leighton si elle était incapable de discuter courtoisement, pour une fois.

- Oui.

La réponse était claire, directe. Elle n'étonna pas la Serpentard. Cette affirmation était prévisible. Les risques encourus n'étaient pas à négliger. Si elle perdait la coque solide qui la maintenait à l'écart du monde extérieur, elle serait perdue. Tous ses repères seraient effacés, la laissant seule face à l'univers qui aurait causé sa perte. L'autodestruction était l'issue la plus plausible. Il n'y avait qu'une chance, infime, minuscule, pour que leur relation ne les détruise pas. C'était à cette même chance qu'Opale s'accrochait inéluctablement.

- Si nous sommes seules, c'est que nous y sommes en sécurité. En ouvrant la porte, nous nous exposons au bon et au mauvais. C'est tout. Il faut juste savoir ce qu'il y a à privilégier.

En effet, mais qu'en était-il lorsqu'on refusait d'admettre que l'on s'exposait à l'inconnu? Ce qui avait été le cas de la blonde un peu avant. Ça lui était passé, la raison avait enfin réussi à la faire consentir à sa politique. A contre-coeur, elle avait bien été forcée de reconnaître l'évidence. Nier les conséquences de ses actes ne lui ressemblait pas, ça ne l'aiderait pas non plus à les assumer. Elle avait fini par s'en rendre compte, leur caractère allait en prendre un coup.

- Je n'ai pas voulu ça. Je n'ai pas voulu nous entraîner là-dedans. Si on s'y perd, on a très peu de chance de redevenir celles qu'on était.

C'était une fatalité. Des pensées, des déductions formulées à vois haute. Leighton devait en avoir conscience également, c'était ridicule de croire qu'elle seule y avait pensé. Un peu hagarde, elle avait parlé bas et en détaillant le plancher. N'étant pas certaine que sa presqu'amie l'ait entendue, elle ne daigna pas se répéter. Elle était même un peu soulagée.

- Il faut qu'on tranche. Soit on continue, ce qui veut dire qu'on accepte de tremper dans le bon et dans le mauvais sans s'en plaindre. Soit on limite les dégâts, on est pas prêtes et c'est terminé.

Sans avoir voulu être tranchante, elle avait tout de même dit ça d'un ton décidé. Elle laissait le choix à Leighton, sans l'influencer. La présentation s'était faite directe, franche, à l'image de la Serpentard qui n'aimait pas que les choses ne soient pas affrontées. Ainsi, dans quelques minutes elle aurait sa réponse, et elle pourrait enfin cesser de se tracasser pour rien. Mais l'espoir est égoïste, il ne pense qu'à ce qu'il désire lui : continuer.

Après mure réflexion, Opale avait décidé que peu importait ce que répondrait Leighton, elle irait jusqu'au bout du marché. Elle ferait tout pour garder la Gryffondor dans son jeu, tant pis si cela aggravait la perception d'elle que se faisait cette fille. La décision avait été difficile à prendre, l'enjeu était gros, mais elle refusait d'abandonner maintenant. Pas après tout ce qui avait été dit ou fait précédemment. Sa camarade possédait, sans forcément s'en rendre compte, quelques informations capitales sur elle. Suffisamment pour forcer la Serpentard à devoir lui faire confiance, partiellement.

- Je ne suis pas prête.

Parfait. Cela prouvait qu'elles étaient deux dans le même pétrin. Au fond, Opale ne l'était même pas lorsqu'elle s'était fourrée dans cette galère. Le marché avait été réfléchi, mais pas assez longtemps, à en juger par les évènements. Ceux-ci tournaient mal en cet instant. Leur contrat était sur le point de prendre fin, alors qu'il venait d'être scellé. Car c'était bien ça que tentait de lui faire comprendre Leighton, pas vrai?

- Et je ne le serai jamais. Mais je veux aller au-delà de ça.

…Non, pas vrai. Opale avait jugé trop vite les mots de sa semblable, la patience lui ferait définitivement défaut. La phrase était simplette, pas très éloquente. Malgré cela, la Serpentard devinait parfaitement où elle voulait en venir. Ainsi donc Leighton était prête à courir le risque de s'ouvrir à l'humanité, était-ce aussi son cas? Oui. Elle en était persuadée, cette rencontre était un coup du destin. Une bouée de secours qui l'aiderait à atteindre l'autre rivage. C'était son seul moyen pour parvenir à s'évader. C'était le moment d'embarquer vers un autre monde. En route pour un territoire inconnu.

- Bien... Que crois-tu que font les autres quand ils passent du temps ensemble? demanda-t-elle, véritablement curieuse.

Elle avait envie de se donner à fond pour que ça marche, elle se sentait prête à donner le meilleur d'elle-même. Pour commencer, il faudrait peut-être qu'elle se relève, ce serait un bon début. D'un geste symbolique, elle se redressa en douceur, avec agilité. Sa vue s'éloignait du sol, elle se posa bientôt vers Leighton qui, étonnamment, souriait d'un léger sourire honnête et franc.

Le silence régnait, sans que ça gêne Opale. Elle était habituée à n'avoir pour seule parole, qu'un vide assourdissant. Drôle d'antithèse. Elle réfléchit également à une réponse pour sa propre question. La tâche n'était pas simple, il leur fallait une certaine ressource pour puiser les informations dont elles avaient besoin. La Serpentard n'avait jamais prêté attention aux groupes d'amis qui l'entouraient. Erreur cruciale, ça lui aurait permis d'avoir une petite idée sur le sujet.Elle en avait bien une, mais c'était vague et confus.

Quand elle a fuit chez sa tante, elle avait été chaleureusement accueillie par cette dernière, mais aussi, plus tard, par les voisines de son âge. Au début, Opale devait rester discrète pour ne pas attirer sur elle la curiosité des environs. Une fois les habitants du quartier habitués à sa présence, elle s'était rapprochée des soeurs d'à côté. Plus particulièrement d'une d'entre elles, Heidi. Elle avait été sa première amie, une gamine attachante et compréhensive. Elle semblait si bien comprendre Opale que les secrets auraient étés inutiles. Par confiance, la blonde lui avait avoué la vérité sur son histoire.

Grossière erreur, car quand elle avait su qu'elle avait quitté illégalement sa famille, Heidi s'était empressée d'aller avertir ses parents. Ceux-ci avaient rappliqué le lendemain chez sa tante, lui demandant des explications. A force de conviction et de persévérance, sa tante avait réussi à raisonner leurs chers voisins et à leur faire promettre de garder le silence. Comme ils étaient très attachés à leur honnêteté, ils n'auraient jamais osé trahir leur parole. De plus, ils étaient surveillés par Opale et sa tante.

- Difficile à imaginer.

Opale n'avait prêté qu'une oreille distraite à sa camarade, trop occupée à se remémorer une époque qui lui semblait révolue depuis plusieurs décennies, alors qu'elle datait de peu. Elle se replongea aussitôt dans ses souvenirs.

A part Heidi, elle avait souvent eu la visite d'un cousin du côté de sa mère, Lucas. Avec lui, sorcier également, elle s'amusait à tenter toutes sortes d'expériences magiques. Alors qu'ils étaient tout deux adolescents, que l'enseignement de la blonde était entièrement régit par sa tante et celui de son cousin, par une piètre école de sorcellerie, ils se défiaient en duels innocents. Quelques petits sortilèges par-ci, d'autres inoffensifs par-là et le tour était joué. Mais leur tante avait rapidement mis un terme à ce jeu qu'elle jugeait trop dangereux.

Alors ils s'étaient contenter de jouer aux bavboules, à la bataille explosive ou simplement à se parler. En lui, Opale savait qu'elle pouvait avoir confiance. Il avait eu une enfance aussi difficile que la sienne. C'était probablement une des raisons qui les rendaient si complices. Ainsi, en grandissant encore, ils faisaient des paris sur lequel des deux réussirait le plus vite à faire ou avoir telle ou telle chose. Lucas était le seul avec qui Opale partageait une grande part d'elle-même. C'était plus qu'un simple cousin, un ami, un frère. Ensemble, ils passaient leur temps à parler, inlassablement heureux de se livrer l'un à l'autre. Le seul être humain au monde avec qui elle continue d'être l'enfant joyeuse et débordante d'affection qu'elle était quand ils se sont trouvés.

En y repensant bien, il y avait quelque chose qu'ils faisaient ensemble qu'elle pourrait faire avec Leighton. Mais c'était sans compter sur leur difficulté réciproque à se confier. Jouer aux confidences n'était pas vraiment réalisable. Elle chassa cette idée de sa tête. Non, elle ne voyait vraiment pas une activité sensée et agréable à faire avec la Gryffondor. C'était tout simplement trop tôt pour qu'elles partagent quoique ce soit, voilà la bonne résolution.

- Tu n’as jamais eu de modèle ?

Avec tout ça, elle en avait presque oublié qu'elle attendait une réponse et qu'elle n'était pas seule, une fois n'était pas coutume. Encore une fois, le peu d'éloquence dont faisait preuve sa camarade ne fut pas un problème. Elle comprit à quoi elle faisait référence. Malheureusement pour son interlocutrice, elle ne s'était jamais intéressée aux autres, à ceux qui avaient des amis. Isolée chez sa tante, qui elle-même vivait seule, elle ne recevait pratiquement aucune visite et ne pouvait donc pas tirer des conclusions sur la manière dont sa tutrice entretenait ses relations amicales. Elle aurait très bien pu lui dire, pour Lucas et elle, mais c'était beaucoup trop personnel. Elle n'allait pas se citer pour exemple, ça non.

- Non.… Et toi? fit-elle, hésitante.

Elle savait que sa camarade réagirait comme elle, se tairait et ne lui dirait rien. Du moins, c'était ce qu'elle supposait.